Facteurs d’influence à l’accessibilité aux soins et services
Cette section présente les facteurs qui peuvent influencer l’accessibilité des personnes réfugiées et en demande d’asile aux services du RSSS et exercer un impact sur la relation avec la ou le professionnel·le.
Vécu relatif aux services du RSSS
Les personnes réfugiées et en demande d’asile rapportent qu’il est difficile de comprendre le système de la santé et des services sociaux ainsi que les services offerts, y compris le rôle des professionnel·le·s.
RÉSEAU DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX |
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SERVICES OFFERTS |
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Ces défis de compréhension peuvent amener les personnes réfugiées et en demande d’asile à se méfier, ou bien à douter des compétences des personnes qui les accompagnent.
De plus, les difficultés indiquées ci-dessus peuvent être exacerbées par le niveau de littératie de la personne, en particulier en matière de santé.
Notion de littératie en santé
Il n’existe pas de consensus sur la définition de la littératie en santé ; toutefois, plusieurs études s’accordent à dire qu’il s’agit d’une notion référant aux connaissances, à la motivation et aux compétences permettant d’obtenir, de comprendre, d’évaluer et d’appliquer de l’information dans le domaine de la santé.
- La littératie en santé permet aux personnes de se forger un jugement et de prendre une décision en matière de soins de santé, de prévention et de promotion de la santé afin de maintenir et promouvoir leur qualité de vie tout au long de leur existence.
- Elle est considérée comme un levier permettant d’amener les systèmes de soins à mieux prendre en compte les inégalités sociales en santé.
Il importe d’accompagner, autant que possible, la personne dans le développement de cette forme de littératie en lui permettant d’être pleinement active dans le processus et les décisions relatives à sa santé, notamment en lui partageant les informations pertinentes à sa prise de décision.
Autres facteurs d’influence
D’autres facteurs sont susceptibles d’influencer la façon dont les personnes réfugiées et en demande d’asile peuvent accéder au RSSS et s’y repérer : la disponibilité des services, leur abordabilité, leur accessibilité, ainsi que les processus liés au référencement.
La disponibilité des services est à considérer. Elle réfère à la présence de services et de ressources en quantité suffisante afin de répondre aux besoins des personnes réfugiées et en demande d’asile. Plus spécifiquement, il existe un besoin de personnel compétent et formé. Cet enjeu est plus important en région où les services spécialisés sont plus rares.
L’abordabilité des services, soit les coûts directs et indirects qu’ils engendrent pour la personne, est également à considérer. Les coûts indirects des services dépendent de facteurs comme la capacité de la personne à payer les médicaments, le fait de devoir s’absenter du travail, etc.
Pour réduire les impacts financiers, certaines personnes peuvent avoir tendance à se fier davantage aux membres de leur famille et aux pratiques médicales traditionnelles.
L’accessibilité des services réfère à la localisation de l’établissement de soins et services et au degré de facilité d’accès à cet emplacement. Il peut s’agir de la présence ou non d’un réseau de transport public, de la durée du déplacement, et des coûts qui y sont associés. L’accessibilité recouvre également les enjeux tels que la connaissance des services, le fait de ne pas savoir si l’on doit parler français pour y accéder, etc.
Toute orientation vers d’autres services peut être influencée par la barrière de langue, par le niveau de littératie en santé ainsi que par la capacité de la personne à s’orienter au sein du réseau de la santé et des services sociaux.
Vécu relatif à l’interaction avec le personnel du RSSS
Interactions avec le personnel du RSSS
Les personnes réfugiées et en demande d’asile rapportent généralement vivre une expérience positive dans leurs interactions avec les professionnel·le·s de la santé et des services sociaux. Toutefois, une méconnaissance de la réalité des personnes réfugiées et en demande d’asile peut provoquer certains obstacles dans les interactions. Plus spécifiquement :
- Les interactions sont parfois identifiées comme manquant de sensibilité.
- Les interactions semblent parfois désintéressées. Certaines personnes réfugiées et en demande d’asile indiquent même se sentir invisibles et incomprises.
- Il peut arriver qu’un·e professionnel·le manifeste un intérêt déplacé, qui n’est pas nécessaire au processus clinique. Par exemple, le fait de manifester de la curiosité à propos d’événements passés traumatisants peut provoquer une détresse chez la personne accompagnée.
- Des conseils insensibles, car portant sur le vécu de la personne réfugiée et en demande d’asile ou bien sur sa culture et sa religion, peuvent parfois être formulés. Cela peut aller jusqu’à l’expression d’opinions sur des pratiques traditionnelles relatives à la santé physique ou mentale, amenant la personne à se sentir jugée et à éviter le sujet par la suite.
- Les professionnel·le·s tiennent parfois pour acquis le fait que les termes médicaux et psychosociaux vont être compris par les personnes accompagnées.
À retenir
- Des défis rencontrés dans les interactions peuvent avoir un impact sur la confiance de la personne envers la ou le professionnel·le, et sur la façon dont elle partagera ou non de l’information concernant sa santé physique et son bien-être.
- Attention de ne pas questionner de façon trop intrusive le vécu migratoire de la personne réfugiée ou en demande d’asile. Pousser les dévoilements peut aggraver les symptômes et stigmatiser les personnes accompagnées; certains vécus seront dévoilés avec la confiance.
- Il est possible de rassurer la personne à propos du fait que les informations partagées n’auront pas d’impact sur son statut et n’entraîneront pas de risque d’expulsion ni de perte de son statut au Canada.
Lien de confiance et confidentialité
La confiance est nécessaire à prendre en considération dans la rencontre, car elle permet aux professionnel·le·s d’explorer la perspective personnelle et l’univers culturel de la personne accompagnée, afin de comprendre ses besoins et d’y répondre de façon adéquate et équitable. La confiance facilite ainsi la communication d’informations sensibles et confidentielles, qui permettent d’adapter les soins de santé et services sociaux.
Toutefois, le partage d’information peut représenter une source de stress pour la personne accompagnée en raison de son statut et du symbole d’autorité que peut représenter la ou le professionnel·le. La méfiance quant au partage d’information avec la ou le professionnel·le peut également provenir de récits d’expérience rapportés par des proches, des ami·e·s ou des voisin·e·s en lien avec les services sociaux et de santé, notamment la protection de la jeunesse :
Certaines personnes peuvent craindre que des informations qui les concernent soient divulguées à des instances gouvernementales, ce qui pourrait avoir un impact sur la démarche d’obtention de leur statut permanent. Ceci s’applique plus spécifiquement aux personnes dont le statut est précaire, comme les personnes en demande d’asile.

Il est important que les professionnel·le·s ajustent leur approche en ayant à l’esprit le symbole d’autorité qu’elles ou ils peuvent représenter. En effet, si la ou le professionnel·le pose des questions jugées indiscrètes ou pose des gestes discriminants, voire racistes, le lien de confiance sera brimé. Les conséquences d’un bris de confiance sont importantes, puisqu’elles peuvent impacter négativement les prochaines interactions de la personne avec d’autres professionnel·le·s de la santé et institutions.
Lorsque la personne réfugiée ou en demande d’asile occupe un rôle parental, elle peut craindre d’être perçue comme négligente ou inadéquate et de subir des répercussions légales concernant ses droits parentaux 1. Il peut être pertinent de rappeler la confidentialité de la rencontre à la personne et de démystifier le rôle de la directrice ou du directeur de la protection de la jeunesse (DPJ).
Il est donc important de créer un environnement de soins respectueux et inclusif pour ces personnes, afin de renforcer le lien de confiance qu’elles pourront développer avec la ou le professionnel·le. Un tel environnement de soins peut également favoriser le sentiment de sécurité des personnes réfugiées et en demande d’asile au sein du RSSS, ce qui contribue à un plus grand engagement de leur part envers le suivi de leur propre santé.
Réflexions et pistes d’action
Il est important de rappeler que chaque membre de l’équipe peut faciliter la relation de confiance entre l’établissement, les professionnel·le·s et les personnes réfugiées et en demande d’asile.
La littérature souligne l’importance d’une bonne première impression dès l’accueil de la personne dans les services, favorisée par des interactions positives.
- Le temps accordé à une rencontre devrait d’emblée être plus long, étant donné la complexité des besoins d’une personne ayant vécu une migration forcée, ainsi que la présence (ou l’absence) d’un∙e interprète.
- L’espace de travail doit être aménagé pour que la personne accompagnée se sente accueillie. Par exemple :
- Placer deux chaises en vis-à-vis sans bureau entre les personnes
- Prévoir des jouets attirants pour les jeunes enfants.
Questions posées à la personne
- Prévenir la personne que des questions potentiellement douloureuses et déstabilisantes pourraient lui être posées
- Rassurer la personne en lui indiquant qu’elle n’est pas dans l’obligation de répondre aux questions : l’objectif est d’apprendre à la connaître avec son bagage de vie et de migration afin de mieux la soutenir
- S’intéresser à la personne en lui posant des questions sur des aspects non médicaux. Par exemple, il peut s’agir de lui demander quelle est sa préoccupation actuelle la plus urgente et vérifier que ses besoins de base soient comblés.
Information partagée à la personne
Informez la personne de votre rôle en tant que professionnel·le, du mandat de votre organisation et des raisons de la rencontre. Cela peut lui permettre d’identifier comment elle se positionne au sein de la démarche clinique.
Dans plusieurs pays, les professions en relation d’aide, par exemple le travail social, sont inexistantes. Les personnes réfugiées et en demande d’asile n’ont pas de référents en la matière. Il importe donc de bien vulgariser votre rôle en tant que professionnel·le en donnant des exemples concrets et simples pour en faciliter la compréhension.
Dans certaines situations, lorsque la personne réfugiée ou en demande d’asile pose des questions, il peut être judicieux de partager des informations portant sur le RSSS. Cela permet de :
- Contextualiser l’information, la vulgariser et la rendre plus pratique.
- Faciliter la compréhension et éviter que la personne se sente surchargée ou impuissante.
- Contribuer à ce qu’elle se sente en contrôle, à l’aise lors de la rencontre et capable de s’engager dans un processus de suivi de sa propre santé.
En tout temps, il est important de simplifier le langage médical et de l’adapter à la personne selon sa littératie de santé et selon ses expériences antérieures.
Plusieurs pistes d’action favorisent la création d’un lien de confiance.
- Adopter une attitude amicale et accueillante, en prenant le temps nécessaire à la rencontre afin de bien comprendre la personne.
- Prendre le temps d’écouter l’histoire de la personne, tout en accordant un espace afin qu’elle puisse poser des questions.
- S’intéresser à la personne, à son contexte, et être sensible à sa réalité de migration forcée
- Avoir recours, autant que possible, aux services de la même personne pour l’interprétation à chaque rencontre, afin de favoriser l’aisance de la personne accompagnée.
Rassurer la personne sur le principe de la confidentialité des rencontres peut soutenir la création d’un sentiment de confiance et de sécurité.
Enfin, la rencontre avec les personnes réfugiées et en demande d’asile demande aux professionnel·le·s d’adapter leur approche. Cependant, ce ne sont pas tou·te·s les professionnel·le·s qui se sentent outillé·e·s pour intervenir en contexte interculturel avec une population ayant un vécu de migration forcée. Le prochain cours aborde les différentes approches à privilégier dans la rencontre interculturelle.
RÉFÉRENCES DE LA SECTION
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Notes
- La rencontre avec les familles et les enfants est abordée au Cours 4