Phase périmigratoire

À propos

La phase périmigratoire désigne la période entre le départ forcé du pays d’origine et la réinstallation dans le futur pays d’accueil. Cette phase peut durer plusieurs années et impliquer la traversée de plusieurs pays.

Unicité des parcours périmigratoires

De façon générale, la phase périmigratoire se caractérise par un départ précipité du pays d’origine. Ceci peut contribuer à exposer les personnes réfugiées et en demande d’asile à des facteurs de vulnérabilité. Que le départ soit planifié ou non, les personnes peuvent vivre de façon prolongée dans des conditions difficiles dans le ou les pays de transit. 

Ainsi, cette vie en transit peut être dangereuse et influencée par :

  • L’instabilité politique
  • Des déplacements avec sauvetage en mer
  • Des routes migratoires périlleuses et violentes
  • Des conditions de vie précaires (ex. : insalubrité, pauvreté, malnutrition)
  • L’exposition à des facteurs venant fragiliser la santé (ex. : blessures, maladies, handicap, manque d’accès aux soins)
  • La séparation familiale, le décès de proches ou de compagnons de voyage, etc.
  • Le fait d’être responsable de personnes plus vulnérables, comme de jeunes enfants
  • Une perte importante de ressources financières

Il importe donc de porter une attention particulière à l’unicité du vécu de la personne durant sa mobilité, des conditions d’existence sur la route ainsi que dans les pays de transit. Ces conditions peuvent être potentiellement traumatiques et avoir des impacts importants sur le bien-être et la santé physique de la personne.

POUR ALLER PLUS LOIN

Les routes migratoires empruntées par les personnes réfugiées et en demande d’asile sont multiples. Nous vous suggérons, ci-dessous, quelques ressources pour approfondir le sujet et en apprendre davantage sur les conditions auxquelles ces personnes sont exposées.

Les conditions dans les pays de transit

Il faut savoir qu’un tiers des personnes réfugiées dans le monde sont installées dans des camps, généralement sous la responsabilité du HCR, même si certains camps naissent de manière spontanée et précipitée, sans encadrement. Il faut aussi savoir que plus de la moitié des personnes réfugiées auxquelles le HCR assure une aide se retrouvent hors camps, majoritairement en milieu urbain, alors qu’une minorité se trouve en zone rurale.

Les conditions de vie dans les camps de personnes réfugiées varient fortement d’un lieu à l’autre, et ce, en raison de nombreux éléments fluctuants :

  • La composition ethnique, nationale ou religieuse des résident·e·s dans les camps peut être très hétérogène 0u homogène.
  • L’accès à des services de base, comme l’eau potable, l’électricité, les soins de santé et les services éducatifs sont inégaux.
  • La taille des camps est très variable, pouvant accueillir quelques milliers de personnes, mais d’autres en abritent plusieurs centaines de milliers, ressemblant alors à d’immenses villes mal urbanisées et dotées de peu de services. publics
  • La durée de vie des camps et la durée des séjours de leurs résident·e·s sont incertaines. Toutefois, il est plutôt rare de voir des camps éphémères. La plupart des camps deviennent des lieux de vie qui se prolongent durant des années, voire des décennies.
  • Certains camps ont vu naître des générations entières sans que ces personnes connaissent la vie ailleurs.

Ainsi, en théorie, les camps de personnes réfugiées sont des abris temporaires qui offrent une protection et une assistance immédiates aux personnes qui ont été forcées de fuir leur pays d’origine. Néanmoins, la plupart du temps, ces camps ne constituent pas des solutions temporaires dans des situations de crise, mais des lieux d’établissement permanents dans lesquels il y a peu ou pas d’avenir.

De ce fait, le HCR a reconnu en 2014 que les personnes réfugiées qui se retrouvent dans des camps y restent parce qu’elles n’ont pas d’autre choix. La vie en camp entraînait une réelle restriction des droits et libertés des résident·e·s, ainsi qu’une limitation de leur possibilité d’autodétermination.

Comme mentionné précédemment, plus de la moitié des personnes réfugiées ne vivent pas dans les camps; elles résident dans les villes ou les campagnes des pays d’accueil. Pour certaines personnes, vivre hors camps peut présenter plusieurs avantages :

  • Conserver l’anonymat après avoir fui des situations de persécution
  • Accéder à de potentiels emplois, donc à des sources de revenus
  • Espérer avoir de meilleures conditions d’habitation
  • Avoir parfois la possibilité de scolariser leurs enfants
  • Avoir accès à une forme de mobilité et d’autodétermination.

Toutefois, le HCR souligne que la vie hors camp peut présenter certains dangers  :

  • Le fait de ne pas pouvoir obtenir des documents d’identité reconnus
  • La vulnérabilité à l’exploitation, aux viols et aux agressions
  • Le risque d’arrestations et de détention
  • La concurrence avec la main-d’œuvre locale les orientant vers des emplois précaires.

Enfin, les personnes réfugiées vivent dans des conditions généralement très précaires, mais ces conditions donnent également lieu à la naissance de stratégies d’entraide et de solidarité. On voit également émerger des lieux de vie sociale, comme des commerces de proximité, des épiceries, des restaurants ou encore des lieux de culte.

POUR ALLER PLUS LOIN

L’ouvrage Un monde de camps, dirigé par Michel Agier (2014), présente la vie quotidienne des habitant·e·s des camps du monde entier à travers 25 monographies. On y retrouve le plus ancien (Chatila, Liban), le plus grand (Dadaab, Kenya, qui regroupe 450 000 habitant·e·s), le plus informel (Canaan, Haïti) ou encore le plus précaire (Calais, France). Loin d’être l’« exception » généralement évoquée dans les discours humanitaires ou sécuritaires pour en justifier l’existence, les camps font durablement partie des espaces et des sociétés qui composent le monde d’aujourd’hui. 

Les savoirs expérientiels

Les vécus en phase prémigratoire peuvent engendrer des vulnérabilités, mais également participer au développement de forces, de stratégies d’adaptation et de résilience chez la personne.  Selon Michèle Vatz Laaroussi, 

La vie dans ces camps produit […] de nombreux savoirs qui seront ensuite portés par les réfugiés vers leurs nouvelles destinations. On peut ainsi penser aux stratégies de débrouillardise et de solidarité qui seules permettent la survie dans ces espace-temps hors du monde et aux frontières de la réalité. On peut aussi relever des apprentissages très concrets en termes de langues, nécessaires pour communiquer dans ces collectivités artificielles, des savoirs administratifs, nécessaires pour dresser les dossiers qui permettront peut-être d’en sortir ou encore des savoirs pratiques qui permettent la survie quotidienne – collecter l’alimentation nécessaire à sa famille, la cuisiner avec des moyens plus que réduits, faire des réserves en attendant la prochaine distribution, organiser un espace inhabituel pour la vie familiale comme une tente ou une baraque, aller chercher, économiser et rationaliser l’usage de l’eau qui y est l’un des biens les plus précieux, savoir gérer et organiser le temps familial dans un contexte d’étrangeté, savoir s’occuper des enfants sans les structures sociales qui y aident habituellement, savoir transmettre aux plus jeunes des connaissances scolaires auxquelles ils n’ont pas forcément accès dans le camp comme la lecture, l’écriture ou le calcul… La liste est longue de ces apprentissages effectués sous la contrainte d’une vie qui n’a pas été prévue et encore moins souhaitée. (Vatz Laaroussi, 2009, p.17)

Les savoirs développés sur la route et en transit sont innombrables. La richesse de ces savoirs et les compétences acquises par ces personnes sont transposables dans le processus d’installation et d’adaptation à la société d’accueil.

À retenir

Les défis rencontrés durant un parcours de migration forcée peuvent également être une source d’apprentissage et favoriser le développement de capacités d’adaptation chez les personnes réfugiées.

Temps et migration

Les personnes réfugiées qui se trouvent dans un pays de transit et les personnes en demande d’asile qui se trouvent dans le pays d’arrivée vivent dans l’incertitude en raison de leur statut d’immigration temporaire. Cette incertitude entraîne plusieurs conséquences. 

Il a été démontré que les personnes réfugiées qui doivent attendre de longues périodes en transit développent des sentiments de stagnation, car elles ne peuvent pas retourner dans leur pays d’origine, régulariser leur statut dans le pays hôte, ni être réinstallées dans un pays tiers. Elles expérimentent donc une aliénation dans leur perception du temps qui peut causer de graves souffrances psychologiques et s’ajoute aux violences vécues avant le départ ou pendant le parcours migratoire.

Ces « limbes existentiels », associés au manque d’opportunités de travail et d’éducation, à l’absence d’accès aux services essentiels, à la séparation familiale et amicale ainsi qu’à la ségrégation dans la société du pays de transit, peuvent entraîner une forte détresse émotionnelle chez les personnes réfugiées. Elles deviennent ainsi plus vulnérables au développement de troubles de santé mentale.  

Dans le cas des personnes en demande d’asile, l’arrivée dans le pays d’accueil ne met pas fin à l’incertitude puisque le statut octroyé est temporaire : le droit à s’établir au Canada de façon permanente dépend de l’issue de l’audience à la CISR1. De plus, le processus de demande d’asile a la particularité de ne pas avoir de date de fin prédéterminée. Au Canada, en moyenne, le délai d’attente pour une audience est d’environ deux ans en 2024.
 

Pour les personnes en demande d’asile, l’incertitude liée au statut et la possibilité que la demande soit déboutée peuvent donc causer une grande détresse psychologique : la personne est à la fois « citoyenne en devenir » et « déportée en attente » (Haas, 2017). On observe notamment une plus grande prévalence de dépression ou de trouble d’anxiété généralisée. L’incertitude associée à la demande d’asile empêche également que la personne se sente en sécurité dans le pays d’arrivée, bien qu’elle ne soit plus exposée aux persécutions ou aux conflits qui ont causé son déplacement forcé.

Un statut migratoire temporaire a également des conséquences sur la santé et l’accès aux services.

  • L’attente imposée par le rythme administratif a un impact sur le bien-être physique et mental et mène au développement de symptômes psychosomatiques : sueurs, stress, insomnies.
  • L’attente d’un statut légal ou permanent entraîne des restrictions d’accès aux soins. Les personnes déplacées peuvent en être légalement exclues ou bien ne pas connaître leurs droits. Parfois, elles peuvent aussi se percevoir comme étant illégitimes à accéder aux services de santé, alors qu’elles y ont pourtant droit.

À retenir

Le temps a des effets négatifs sur la santé mentale des personnes réfugiées et en demande d’asile. Les personnes réfugiées vivent un sentiment de stagnation durant la période de transit, tandis que les personnes en demande d’asile peuvent souffrir de l’incertitude liée à l’issue de leur demande. Même si ces personnes ne sont plus directement exposées à la persécution, elles peuvent donc rencontrer des difficultés à se sentir en sécurité. Il est important de tenir compte de ces paramètres dans l’évaluation des troubles tels que l’anxiété, la dépression ou les symptômes de stress post-traumatiques.

L’installation en lieu sûr

La phase périmigratoire peut également inclure l’amorce de démarches pour l’installation dans un lieu sûr. En effet, lorsqu’une personne se voit forcée de demander l’asile dans un autre pays, son enregistrement et son inscription par le HCR constituent une première étape pour assurer sa protection. Ce processus facilite l’accès à une assistance de base et permet à l’équipe du HCR d’identifier les besoins spécifiques de certaines personnes. Les personnes réfugiées dont la vie, la liberté, la sécurité, la santé ou d’autres droits fondamentaux sont à risque dans le pays où elles ont trouvé refuge peuvent être sélectionnées pour la réinstallation. Néanmoins, parmi les personnes reconnues réfugiées par le HCR, seule une fraction d’entre elles accéderont à la réinstallation. Lorsqu’une personne réfugiée a été admise pour la réinstallation, elle doit souvent accomplir différentes formalités avant le départ, en fonction des exigences de l’État qui l’accueillera.  

À retenir

  • Les défis rencontrés durant un parcours de migration forcée peuvent également être une source d’apprentissage et favoriser le développement de capacités d’adaptation chez les personnes réfugiées.
  • Lors de l’évaluation de l’état physique de la personne réfugiée, il est important de connaître les pays qu’elle a parcourus afin de mieux cerner les risques d’exposition à certaines pathologies, et ainsi l’orienter vers les traitements appropriés.

Les réactions possibles à la réinstallation

Au fil de la progression dans leur parcours migratoire, les personnes réfugiées peuvent vivre une période d’euphorie à l’installation ou en se rapprochant du pays d’accueil, mais également une culpabilité due au fait d’avoir survécu. Voici comment ces vécus sont rapportés par les personnes réfugiées et en demande d’asile :  

  • Période d’euphorie à l’installation : elle peut être vécue par certaines personnes lorsqu’elles obtiennent la protection et la résidence permanente du pays sûr où la demande a été effectuée. En effet, les délais pour obtenir ce type de réponse peuvent être longs et la personne qui en a fait la demande peut avoir vécu dans des conditions difficiles pour fuir son pays d’origine. Cette période d’euphorie serait moins rapportée pour les personnes en demande d’asile, étant donné qu’elles auront passé un moment dans le pays d’accueil avant d’obtenir leur résidence permanente.

  • Culpabilité d’avoir survécu : elle peut être vécue par la personne qui a amorcé son parcours migratoire lorsqu’elle entend parler d’événements négatifs se produisant dans son pays d’origine ou dans des pays où vivent des gens issus de son réseau social (amis, famille, proches, etc.).
Ces éléments illustrent à quel point le parcours migratoire est complexe, aussi bien sur le plan des conditions de vie que du point de vue des processus internes propres à la personne : elle développe de nouveaux savoirs et renforce sa résilience, mais se retrouve également exposée à des stresseurs qui peuvent entraîner des conséquences sur sa santé mentale. Le tout se produit bien avant que la personne arrive dans le pays d’accueil et doive s’adapter à une nouvelle société.

Quiz : phase périmigratoire

Références de la section

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Notes

  1. Voir le schéma de la section Différents statuts et motifs de migration.