Ziersch, A., Due, C., & Walsh, M. (2020). Discrimination : a health hazard for people from refugee and asylum seeking backgrounds resettled in Australia. BMC public health, 20(1), 108.
En bref – Cette fiche synthèse rend compte d’une étude à devis mixte réalisée en Australie. Elle explore les expériences de discrimination vécues par les personnes réfugiées et les demandeurs d’asile. L’objectif visé est de fournir des informations sur l’ampleur et la nature de la discrimination subie par ces personnes, la manière dont elles y répondent, ainsi que les impacts sur leur santé. Les résultats obtenus indiquent qu’environ un quart (22%) des participants ont vécu une expérience de discrimination. La quasi-totalité d’entre eux (90%) ont déclaré que cette expérience a eu un effet délétère sur leur santé mentale. Face à la discrimination, des réponses de différentes natures (cognitive, comportementale ou affective) ont été rapportées par les participants. Ces réponses sont essentiellement délétères pour la santé ; mais dans certains cas, elles peuvent avoir des effets protecteurs.
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1. Contexte
Dans les pays de réinstallation, les réfugiés et les demandeurs d’asile peuvent être particulièrement exposés à la discrimination. Ils peuvent subir de la discrimination en raison de leur appartenance ethnique, leur religion, leur orientation sexuelle, leur identité de genre, etc. Celle-ci peut être vécue dans les différentes sphères de la vie quotidienne (p. ex. : lieux publics, institutions), de manière directe ou indirecte (vicariante) et par contact avec des proches victimes de discrimination (p. ex. : enfants, amis). La discrimination envers les réfugiés et les demandeurs d’asile est susceptible de porter atteinte à leur bien-être et leur santé physique : réponses physiologiques, exacerbation de traumatismes antérieurs, internalisation de stéréotypes négatifs, comportements d’adaptation néfastes (tels que l’abus de drogues et d’alcool), violence physique ou encore accès inégal aux ressources. Il importe donc de mieux appréhender la discrimination si l’on veut améliorer la santé des réfugiés et des demandeurs d’asile. Dans cette perspective, le présent document rend compte d’une étude sur la discrimination subie par les réfugiés et les demandeurs d’asile en Australie. L’étude visait à fournir des informations sur l’ampleur et la nature de la discrimination subie, la manière dont les réfugiés et les demandeurs d’asile y répondent, ainsi que ses impacts sur leur bien-être et leur état de santé physique.
2. Méthodologie
Cette étude est de type méthode mixte. Elle a été réalisée auprès de 423 personnes réfugiées ou en demande d’asile, âgées de 18 ans ou plus, vivant en Australie depuis 7 ans ou moins. Concernant les caractéristiques des participants, 51% étaient des femmes, 70% détenaient le statut de réfugié, 26,7% étaient en demande d’asile et 3,3% des participants n’avaient pas de statut spécifié. Principalement, les participants provenaient du MoyenOrient (52,2%), de l’Afrique (32,4%) et du Sud-Est de l’Asie (13,5%). L’appartenance religieuse la plus rapportée était la religion musulmane (46,1%) suivie de la religion chrétienne (33,3%). L’étude s’appuie sur des données qualitatives issues d’entretiens et des données d’enquête quantitatives. Le volet quantitatif s’est déroulé auprès de l’ensemble des participants ayant répondu à un questionnaire en ligne explorant différentes facettes de discrimination ainsi que différents construits associés (p. ex. : prévalence de la discrimination ressentie, niveau de confiance, sentiment d’appartenance au pays d’accueil, niveau perçu de contrôle, espoirs et projections dans l’avenir). Le volet qualitatif a été réalisé auprès de 65 participants, à travers des entrevues semi-dirigées portant sur le logement, la relation de voisinage, le support reçu en Australie, les expériences vécues de discrimination et leurs impacts perçus sur la santé.
3. Résultats
Prévalence de la discrimination et facteurs socio-démographiques associés
Sur 423 participants ayant répondu au questionnaire en ligne, 22% estiment avoir vécu une expérience de discrimination depuis leur arrivée dans le pays d’accueil. Le plus souvent, cette expérience a été vécue au cours de la dernière année (60%), dans les transports publics (33%), avec le voisinage (30%) et dans l’emploi (23%). Les résultats obtenus révèlent aussi des cas de discrimination dans les services (p. ex. : magasins, taxis, police et finances) et dans l’accès au logement, à l’éducation, à la santé. La discrimination est également associée à la durée de la période de réinstallation : plus elle est longue, plus les taux de discrimination sont élevés. De même, les demandeurs d’asile et les personnes venues d’Afrique ou du Moyen-Orient sont plus à risque de subir des actes de discrimination. Des taux plus élevés de discrimination ont été également observés chez les participants sans religion, suivis par les chrétiens, les musulmans et les autres appartenances religieuses.
Nature des actes de discrimination vécus
Les participants rapportent avoir été exposés à des actes de discrimination de différentes natures : incivilités, violences physiques et discriminations institutionnelles. Selon les participants, les actes d’incivilité (p. ex. : insultes, commentaires haineux, invitations à quitter le territoire) sont fondés sur l’intersection entre leur statut migratoire et leur appartenance religieuse ou sur l’intersection entre leur genre et leur appartenance religieuse (p. ex. : port du hijab). Certains participants rapportent également être considérés comme des terroristes du fait de leur religion, ethnie et genre. Les participants décrivent vivre aussi une discrimination indirecte ou vicariante par l’intermédiaire de proches victimes de ces incivilités (p. ex. : enfants, amis). Certains participants relatent des actes de violence physique à leur encontre, motivés selon eux par la combinaison entre leur appartenance ethnique, religieuse et de genre. D’autres évoquent également de la discrimination systémique, perçue dans leur contact avec les institutions du pays. Les participants estiment que les directives gouvernementales qui encadrent leurs droits limitent leur accès aux services primordiaux (p. ex. : emploi, santé) et constituent pour eux une forme de discrimination. À ceci s’ajoutent les préjugés et stéréotypes qui peuvent susciter un sentiment de discrimination dans l’accès au logement ou à l’emploi.
Réponses des réfugiés et des demandeurs d’asile face à la discrimination
Face à la discrimination, les réfugiés et les demandeurs d’asile ont des réponses affectives, cognitives ou comportementales. Concernant les réponses affectives, les participants rapportent une gamme variée d’émotions incluant : colère, frustration, tristesse, perte d’espoir et honte. S’agissant des réponses cognitives, elles se manifestent principalement par des stratégies qui consistent à ignorer la discrimination, à la minimiser ou encore à la généraliser en tant qu’expérience commune. Quant aux réponses comportementales, elles visent principalement à prévenir la discrimination et incluent la dissimulation de leur identité (p. ex. : signes religieux, nom), la limitation des déplacements (p. ex. : heures définies de sortie) ou encore le changement de lieu d’habitation. Seulement quatre participants ont rapporté avoir agi directement face à des personnes les discriminant, par une réponse verbale ou par une plainte auprès de la police. S’agissant spécifiquement des plaintes pour discrimination subie auprès de la police, une sous-déclaration a été observée. Certains participants sont réticents à discuter et à nommer la discrimination par crainte de paraître ingrat vis-à-vis du pays d’accueil ou par peur des impacts potentiels sur la détermination de leur visa.
Impacts de la discrimination sur la santé
La discrimination a des effets néfastes sur la santé des réfugiés et demandeurs d’asile. Parmi les participants à l’étude ayant vécu une expérience de discrimination, 90% ont déclaré que la discrimination a eu des conséquences négatives sur leur santé. Parmi ces conséquences négatives, les réponses émotives sont considérées comme particulièrement néfastes au niveau de la santé. L’expérience quotidienne d’émotions comme la colère ou la peur conditionnée par le stress lié aux risques d’agression peut perturber la santé mentale. Pour faire face aux effets néfastes de la discrimination sur la santé mentale, les réponses cognitives, telles que l’ignorance ou la minimisation, ont été rapportées comme étant des stratégies de prévention ou de protection.
4. Discussion et recommandations
La discrimination envers les réfugiés et les demandeurs d’asile est assez fréquente en Australie. Près d’un quart des personnes interrogées ont rapporté avoir été victime de discrimination et ceci dans différents lieux (p. ex. : lieux publics, institutions). La discrimination peut prendre différentes formes : incivilités, violence physique, discrimination systémique. Elle peut être motivée par différentes caractéristiques identitaires, dont la religion et l’appartenance ethnique. Concernant les réponses des réfugiés et demandeurs d’asile face à la discrimination, l’étude souligne la prédominance de réponses « passives », à travers notamment l’ignorance, ou la minimisation des actes de discrimination subis. S’agissant de l’impact sur la santé, la discrimination engendre des réponses émotionnelles (p. ex. : colère, tristesse) qui ont un impact négatif sur la santé mentale (p. ex. : perturbation du sommeil ou du sentiment de bien-être). De plus, les expériences de discrimination peuvent avoir un effet négatif sur l’intégration et la qualité de la réinstallation des réfugiés et des demandeurs d’asile. Il ressort aussi des résultats de l’étude qu’aucun schéma cohérent expliquant des réponses particulières pour un type particulier d’incidents liés à la discrimination n’a été observé. Considérant le contexte, l’expérience personnelle et l’identité des personnes, il apparait important de considérer les facteurs prémigratoires (p. ex. : expérience traumatique, pays d’origine) qui peuvent moduler la sensibilité aux actes de discrimination et les réponses. En ce sens, avoir vécu des événements traumatiques dans son pays d’origine peut venir limiter la conscience de l’impact de la discrimination par comparaison. De manière postmigratoire, un statut migratoire temporaire de type demande d’asile et une expérience de détention dans le pays d’accueil peuvent justifier la faible occurrence de plaintes juridiques. De plus, l’appartenance à une société d’origine collectiviste peut expliquer les réactions passives de certains réfugiés et demandeurs d’asile ayant subi de la discrimination.
En termes de recommandations, les auteurs proposent de :
- Porter attention au langage incendiaire, diabolisant et discriminatoire dans les débats politiques (et médiatiques) sur l’immigration ;
- Réexaminer les politiques gouvernementales discriminatoires qui restreignent l’accès aux services essentiels pour certains groupes de réfugiés et de demandeurs d’asile ;
- Mettre en évidence l’impact des formes croisées de discrimination et ses effets potentiellement aggravants et implanter des politiques et programmes anti-discrimination, incluant des initiatives spécifiques à l’égard des personnes réfugiées et en demande d’asile ;
- Promouvoir l’éducation des réfugiés et des demandeurs d’asile sur la législation et la politique antidiscrimination en Australie afin d’aider les nouveaux arrivants à comprendre leurs droits et leurs protections ;
- Sensibiliser les communautés de réfugiés et de demandeurs d’asile afin de faciliter le dépôt de plaintes par ceux qui ont été victimes de discrimination ;
- Mobiliser des ressources pour la mise en œuvre de programmes de développement communautaire et de cohésion sociale, en particulier à l’échelle du quartier, lieu de discrimination de premier plan.