Merry, L., Pelaez, S., & Edwards, N. C. (2017). Refugees, asylum-seekers and undocumented migrants and the experience of parenthood: a synthesis of the qualitative literature. Globalization and health, 13(1), 75.
En bref – Cette fiche synthèse présente les résultats d’une revue de littérature portant sur l’expérience de la parentalité de parents réfugiés, en demande d’asile ou sans statut vivant dans un pays d’accueil. L’analyse thématique met en lumière 3 thèmes rattachés à l’expérience des parents : 1) faire face aux épreuves et pertes en contexte de précarité et de passé traumatique, 2) développer de la résilience et 3) vivre à l’échelle transnationale.
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1. Contexte
La parentalité entraine une série de changements émotionnels, sociaux et physiques, nécessitant une adaptation au rôle de parent. Dans le contexte de migration forcée s’ajoutent des enjeux auxquels le parent doit faire face : la perte du soutien social et familial, l’adaptation à une nouvelle société, des expériences de discrimination, le changement de statut socioéconomique ou encore un accès limité aux services de santé et services sociaux. Au regard de ces défis, de nombreuses études sont consacrées à la parentalité dans le contexte spécifique de la migration forcée. À travers cette synthèse de la littérature qualitative, Merry, Pelaez et Edwards (2017) souhaitent dégager des thématiques transversales pouvant appuyer le développement de services spécifiques aux besoins des parents en situation de migration forcée.
2. Méthodologie
À l’issue de la procédure de revue systématique, 138 articles ont été retenus. Les populations à l’étude devaient répondre aux critères d’inclusion suivants : 1) être parent (mère, père ou membre de la famille), 2) avoir le statut de réfugié, demandeur d’asile ou être sans-statut, 3) vivre dans un pays d’accueil. Parmi les études retenues, la majorité (93%) incluait des mères, près de la moitié incluait des pères et seulement 5% étaient consacrées aux membres de la famille élargie. La plupart des études ont été conduites aux États-Unis (54%), en Europe (15%), en Australie (14%) et au Canada (12%). Seulement 2% des études étaient situées dans des pays à faible ou moyen revenu tels que le Maroc, l’Afrique du Sud et la République dominicaine.
3. Résultats
Faire face aux épreuves et aux pertes
Pour les familles en demande d’asile ou sans-statut, les premières épreuves rencontrées par les parents sont celles de la précarité juridique et par conséquent du caractère incertain de leur avenir ainsi que de celui de leur enfant (p. ex. : possibilités de séparation avec leur enfant, retour forcé dans un pays d’origine dangereux). Les parents se retrouvent dans une expérience émotionnellement difficile de partager la situation à leurs enfants et de se préparer à un éventuel départ forcé. À ceci s’ajoute, leur manque d’accès à des aides et services de prise en charge, car inadmissibles ou par crainte de nuire à l’obtention d’un statut de réfugié. Selon les parents, ces circonstances créent des tensions et affectent le bien-être de toute la famille. Malgré leur statut permanent, les parents réfugiés rapportent vivre davantage d’inquiétudes concernant la sécurité de leur enfant vivant à leurs côtés.Ceci est en partie expliqué par une mémoire marquée de traumatismes (p. ex. : perte de proches dans le pays d’origine, scènes de violence) et des préoccupations quotidiennes concernant la sécurité des proches restés dans le pays d’origine.
Durant la phase de réinstallation dans le pays d’accueil, la précarité économique et ses répercussions sur le bien-être matériel de la famille (p. ex. : alimentation, logement, quartier de résidence) suscitent chez les parents le sentiment de ne pas subvenir adéquatement aux besoins primaires de leur enfant. A ceci s’ajoutent les actes de discrimination dont l’enfant peut être victime mettant à mal la dimension protectrice du rôle parental. Malgré des heures consacrées à l’amélioration de la situation (p. ex. : heures supplémentaires au travail, démarches migratoires), l’image qu’ils ont projetée d’eux comme parent ne correspond pas à leur réalité. Selon eux, tout ceci contribue finalement à un sentiment de démoralisation, l’impression d’être inadéquat et à vivre une forme d’humiliation.
À moyen et long terme, l’arrivée dans un pays culturellement nouveau peut engendrer une perte de repères pour les parents, tant dans leur rapport à la société d’accueil que dans la relation qu’ils entretiennent avec leur enfant. Ceci entraine un ajustement de la posture parentale aux valeurs de la parentalité préconisées par la nouvelle société, notamment sur le plan éducatif, de la discipline et de la transmission des valeurs et croyances. Les services du pays d’accueil et leurs prestataires (p. ex. : enseignants, travailleurs sociaux, services de protection de l’enfance) peuvent être considérés comme un système qui remet en question leur rôle parental et les menace de perdre la garde de leur enfant s’ils ne se conforment pas au modèle parental dominant. Au niveau relationnel, certains parents mentionnent un écart d’acculturation avec leurs enfants (p. ex : apprentissage de la langue et socialisation facilités par la scolarisation des enfants) ainsi qu’un sentiment d’avoir perdu de l’autorité au quotidien sur ces derniers, occasionnant de nouvelles sources de tension au sein de la famille. Certaines modifications des structures familiales et des rôles parentaux (p. ex : monoparentalité après décès d’un des deux parents) peuvent provoquer des tensions et certaines études soulignent la plus grande difficulté des pères face à la négociation entre ces changements de rôle et les nouvelles attentes sociales. De manière réflexive, certains parents rapportent vivre une déception vis-à-vis de leurs attentes initiales relatives au pays d’accueil, un idéal projeté déchu qui doit être réajusté à la réalité du pays d’accueil.
Développer de la résilience
Malgré les défis, les études soulignent la force et la résilience dont font preuve ces parents au quotidien. De nombreux facteurs internes et externes favorisent leurs capacités à s’adapter face à l’adversité : certains se concentrent sur leur gratitude de vivre dans un pays sécuritaire, d’autres sont déterminés à reconstruire leur vie et à réussir dans leur pays d’accueil et d’autres encore placent le sens de leur sacrifice dans le bien-être de leur enfant.
La foi, la famille et la communauté (ethnique ou religieuse) sont investies comme supports sociaux incontournables autant sur le plan psychologique (p. ex. : détente, rires, espoir, besoins identitaires) que pratique (p. ex. : tâches quotidiennes, informations). Les interactions positives avec la société d’accueil et ses institutions contribuent à la création d’un sentiment d’appartenance. Notamment, l’éducation est identifiée par les parents comme premier enjeu pour la réussite de leurs enfants. Les programmes de réinstallation sont également aidants à condition qu’ils soient accessibles.
Selon les parents, une autre source fondamentale de résilience est le maintien d’une relation à la culture d’origine à travers notamment la langue, les valeurs et la religion et la transmission à leurs enfants dans le but d’assurer la continuité de l’identité familiale.
Vivre à l’échelle transnationale
Les relations transnationales se situent au carrefour entre, d’une part les pertes et les difficultés, d’autre part les forces et la résilience. L’expérience de la séparation et de la distance familiale, que ce soit entre un parent et son enfant resté dans le pays d’origine ou entre deux conjoints, peut être la source de beaucoup d’inquiétudes, de culpabilité et d’un sentiment de déchirement vis-à-vis des proches restés dans le pays d’origine. Bien que certaines personnes vivent une précarité financière dans le pays d’accueil, elles tiennent à envoyer de l’argent à leurs proches. Les parents demeurent dans l’espoir d’une réunification familiale tout en étant conscients de la complexité des démarches et des coûts associés. Lorsque les retrouvailles sont possibles, les personnes sont conscientes que réapprendre à vivre ensemble peut constituer un grand défi.
Si ces relations transnationales sont qualifiées de complexes sur le plan émotionnel, elles peuvent également favoriser une « résilience familiale » (Merry et al., 2017, p.10). Les relations à distance avec la famille et les amis restés dans le pays d’origine sont une source de soutien social et peuvent procurer des conseils relatifs à la parentalité. De plus, elles sont un moyen de faire vivre leur culture et leurs traditions et d’enseigner leur langue à leurs enfants. De nombreux parents envisagent un retour dans le pays d’origine. Dans un contexte de perte et de défis multiples, le maintien de ces connexions est une source de résilience qui contribue à préserver l’identité et une image positive de soi.
4. Discussion
Merry et al. (2017) recommandent de favoriser davantage l’accès aux services pour les personnes en demande d’asile ou sans-statut, de développer des services de prise en charge pour les personnes ayant été victimes d’évènements traumatiques, notamment le cas spécifique de femmes ayant été enceintes à l’issue d’un viol, ainsi que de mettre en place de meilleurs mécanismes de support communautaire et scolaire adressés aux parents en contexte de migration forcée. En ce sens, l’approche transnationale préconisée dans l’étude implique une sensibilisation des professionnels de la santé, travailleurs sociaux et de protection à l’enfance aux impacts de la migration et des liens transnationaux sur le bien-être et la santé des familles nouvellement arrivées. Au niveau politique, les auteurs soulignent l’importance de promouvoir la cohésion culturelle entre les communautés et de considérer davantage les situations de séparation familiale. En termes de pistes de recherche, Merry et al. (2017) soulignent l’intérêt d’explorer davantage la parentalité chez les personnes ayant un statut migratoire précaire (p. ex. : demandeur d’asile), le rôle de la famille élargie dans l’expérience parentale dans le pays d’accueil, ou encore les enjeux transnationaux par l’analyse de la perspective des membres restés dans le pays d’origine ou le recours à des devis longitudinaux.