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Juin 01
INFO - Parler de santé sexuelle et reproductive par l’intermédiaire d'interprètes
Fiches synthèses et infographies

Parler de santé sexuelle et reproductive par l’intermédiaire d’interprètes

Mengesha, Z. B., Perz, J., Dune, T., & Ussher, J. (2018). Talking about sexual and reproductive health through interpreters: The experiences of health care professionals consulting refugee and migrant women. Sexual & reproductive healthcare, 16, 199-205.

En bref – Cette fiche synthèse présente les résultats d’une étude réalisée en Australie. L’objectif visé était d’explorer l’expérience des professionnels de la santé ayant recours à des interprètes lors de consultations en santé sexuelle et reproductive avec des femmes réfugiées et migrantes ne maîtrisant pas l’anglais afin d’identifier les implications en matière de services et de politiques. Les résultats obtenus mettent en lumière trois facteurs influençant la qualité de la communication dans la relation triadique patiente-professionnelle de la santé-interprète autour des enjeux sexuels et reproductifs : (1) la barrière de la langue (niveau individuel) ; (2) une connaissance et compréhension limitées du langage de la santé sexuelle et reproductive chez l’interprète (niveau interpersonnel et organisationnel) et ; (3) les normes sociétales et les enjeux de genre (niveau systémique et politique).

À télécharger : Fiche synthèse et Fiche infographie

1. Contexte

L’accès aux services de santé sexuelle et reproductive pour les femmes réfugiées et migrantes représente un enjeu majeur en Australie. Au cours des dernières décennies, le développement de programmes humanitaires et de réunification familiale a entrainé l’arrivée massive de personnes réfugiées originaires de pays non-anglophones. Ces personnes peuvent rencontrer des barrières linguistiques dans l’accès aux services de santé, car l’anglais est la langue officielle de l’Australie. De plus, dans certains contextes culturels, la discussion sur la sexualité est considérée comme un tabou sociétal, ce qui peut venir fragiliser la relation entre les professionnels de la santé et les femmes réfugiées ou migrantes et nuire à l’accès et/ou à la qualité des soins de santé.

Pour faire face à ces défis, le recours à des interprètes a été préconisé comme un élément facilitateur dans le parcours de soins des personnes réfugiées et migrantes. L’utilisation d’interprètes facilite l’accessibilité aux soins de santé, réduit les dépenses inutiles et améliore la qualité des soins pour les patients ayant une maîtrise limitée de l’anglais. Malgré ces avantages, les professionnels de la santé sous-utilisent généralement les services d’interprétariat et privilégient le recours aux proches des patients (membres de la famille et amis) en tant qu’interprètes lors des consultations. Dès lors, les auteures soulignent la nécessité d’explorer les facteurs qui influencent la communication entre les professionnels de la santé, les interprètes et les femmes réfugiées et migrantes en soins de santé sexuelle et reproductive, ainsi que le rôle de ces facteurs en tant que barrières dans le recours et l’accès aux services de santé.

2. Méthodologie

Cette étude a été réalisée en Australie auprès de 21 femmes professionnelles de la santé ayant complété un questionnaire en ligne, puis participé à un entretien téléphonique de type semi-dirigé. Elle a consisté en une enquête sur leurs expériences avec des interprètes professionnels lors de la consultation de femmes réfugiées et migrantes qui ne maîtrisent pas l’anglais. Les participantes ont été recrutées dans des cliniques de planification familiale, des cliniques de santé des femmes, des cabinets privés ainsi que des organismes de sensibilisation et de promotion dédiés à la santé des femmes réfugiées et migrantes. Elles appartenaient à des champs disciplinaires distincts : infirmières (8), généralistes (5), agents de promotion de la santé (5), thérapeutes sexuels (2) et sage-femme (1). Elles avaient déjà eu recours aux services d’interprétariat dans leur expérience clinique. Leur âge moyen a été évalué à 50,6 ans. Plus de la moitié d’entre elles réalisaient entre 1 et 5 consultations par jour auprès de femmes réfugiées et migrantes. Concernant le pays d’origine des patientes, l’Afghanistan, le Soudan, l’Irak et l’Iran étaient les pays les plus souvent cités. Au niveau de la réalité clinique, les motifs principaux de consultation observés sont : la contraception (71,4%), les enjeux liés à la grossesse (61,9%), la douleur et l’inconfort sexuels (42,9%) ainsi que l’infertilité (42,9%).

Une analyse thématique des données collectées a été réalisée. Elle a été orientée par la théorie socio-écologique dans le but de mieux comprendre les différents facteurs qui influencent la communication entre la professionnelle de la santé et la patiente aux différents niveaux (individuel, interpersonnel, sociétal).

3. Résultats

Les résultats identifient la barrière de la langue comme obstacle principal rencontré dans la communication entre patiente et professionnelle de santé en sexuelle et reproductive. Lors du recours à un interprète, les professionnelles soulignent que le manque de connaissance du langage associé à la santé sexuelle et reproductive chez l’interprète et le fait que ce dernier soit un homme peuvent représenter des défis supplémentaires dans l’interaction avec les patientes.

La barrière de la langue (niveau individuel)

Une maitrise limitée de l’anglais chez les patientes réfugiées et migrantes constitue un défi prioritaire lors de consultation en santé sexuelle et reproductive. Ce défi est particulièrement manifeste au contact de patientes âgées. Les professionnelles ont souligné l’inconfort de certaines femmes à communiquer en anglais, ceci s’additionnant à une gêne concernant le dévoilement d’enjeux relatifs à la santé sexuelle et reproductive. Dans certains cas, il a été observé que l’accent de la professionnelle rendait plus difficile la communication et la compréhension chez la patiente. La barrière de la langue s’inscrit aussi dans la compréhension écrite, limitant chez les professionnelles de la santé l’usage de ressources pédagogiques écrites en anglais. De manière analogue, l’obtention d’un consentement éclairé garant d’une pratique professionnelle éthique et déontologique, s’est révélé être aussi un défi, notamment quand un formulaire de consentement dans la langue d’origine des patientes n’était pas disponible ou quand les patientes étaient analphabètes. Face à ces défis, les professionnelles ont mentionné l’importance de ralentir le débit verbal et/ou de se répéter afin de favoriser la compréhension chez la patiente ou d’avoir recours à un interprète. Toutefois, le recours à un interprète pendant la consultation apporte aussi son lot de défis comme détaillé ci-dessous.

Une connaissance et compréhension limitées du langage en santé sexuelle et reproductive chez l’interprète (niveau interpersonnel et organisationnel)

Si le recours à un interprète est considéré comme un élément facilitateur pour s’affranchir de la barrière de la langue, les professionnelles de la santé ont rapporté une série de défis rencontrés au niveau interpersonnel et organisationnel. Sur un plan logistique, le manque d’interprètes disponibles peut rendre difficile l’accès à ce service. Ce défi était plus manifeste en présence de patientes âgées ou de dialecte spécifique pouvant complexifier la recherche d’un interprète qualifié pour la singularité culturelle et langagière de la patiente. La consultation par téléphone avec un interprète s’est révélée également une expérience « complexe » et nécessitant de manière générale le « double du temps ». Le principal défi observé est le manque de connaissances techniques ou les difficultés rencontrées par les interprètes dans l’explications des termes spécifiques à la santé sexuelle et reproductive. De plus, les interprètes peuvent éprouver de la difficulté à traduire certains termes médicaux ou en anglais s’il n’y a pas d’équivalents dans la langue ou dialecte de la patiente réfugiée ou migrante (p. ex. : qualifier un contraceptif intra-utérin en hindi).

Pour compenser ces bris de communication entre l’interprète et la patiente, certaines professionnelles de la santé ont mentionné s’être affranchis de l’aide de l’interprète par moment et avoir eu recours à des graphiques et des schémas pour favoriser une compréhension visuelle de gestes préventifs, actes médicaux ou tests à faire. Néanmoins, certaines professionnelles ont nuancé le propos en soulignant que lorsque les interprètes sont formés, ils peuvent constituer un réel lien entre la patiente et la professionnelle de la santé et éclairer cette dernière sur certains enjeux transculturels concernant la sexualité et la reproduction. Un dernier enjeu mentionné au niveau interpersonnel est la réticence chez les patientes à se dévoiler en présence de l’interprète, ceci étant justifié par la peur du jugement de l’interprète, ce dernier pouvant être membre du même milieu culturel que la patiente. Cette réticence chez les patientes s’explique aussi par la crainte associée aux risques de divulgation des contenus des consultations à d’autres membres de la communauté de la patiente, notamment si l’interprète est connu dans cette communauté ou s’il s’agit d’une communauté de petite taille. Face à ces préoccupations des femmes, les professionnels de la santé recommandent de rassurer la patiente concernant le devoir de confidentialité des interprètes et de soutenir les interprètes dans une pratique éthique et respectueuse des droits du patient.

Les normes sociétales et enjeux de genre (niveau systémique et politique)

D’une manière générale, les professionnelles de la santé ont observé que la santé sexuelle et reproductive est un sujet tabou pour les femmes réfugiées et migrantes. Elles peuvent éprouver de la gêne à aborder ce sujet et, par conséquent, minimiser l’expression de leurs besoins concernant ces domaines. Selon les professionnelles, ceci est justifié par des normes sociales du pays d’origine pouvant être différente de celles du pays d’accueil concernant la sexualité, la manière d’en parler, tout comme le cadre pour le faire. Selon les professionnelles de la santé, cette gêne dans l’évocation de la sexualité est plus marquée en présence d’un interprète masculin. Les différences de genre autour de ces enjeux et les codes sociaux du milieu d’origine des patientes semblent expliquer leurs réticences à se dévoiler en présence d’une figure masculine en consultation. De manière analogue, certains interprètes masculins peuvent ressentir une gêne à évoquer des mots ou enjeux (p. ex. : organe génital féminin) avec certaines patientes occasionnant l’allongement des consultations ainsi qu’une communication altérée des questions, conseils et recommandations en santé. En réponse au souci d’offrir un cadre idéal pour les patientes, les professionnelles de la santé ont rapporté un nombre limité de femmes interprètes disponibles et donc la difficulté de pouvoir en tout temps tenir compte des normes et codes sociaux de la patiente. Dans le cas d’une impossibilité à avoir recours à une femme interprète lors de consultation en santé sexuelle et reproductive, les professionnelles ont souligné l’importance d’obtenir un accord préalable de la patiente et, dans le cas d’une réponse positive, de rester attentif au sentiment de confort de la patiente durant la consultation.

4. Discussion et recommandations

À l’échelle individuelle du patient, la barrière de la langue constitue l’un des principaux facteurs fragilisant la communication avec la professionnelle de la santé et, à terme, l’accès aux soins de santé pour les femmes réfugiées et migrantes. Par conséquent, il est important de maintenir une conscientisation du poids de la barrière de la langue dans le parcours de soins des personnes réfugiées et migrantes et de répondre à ce besoin en favorisant une plus grande inclusivité dans les structures de soins (p. ex. : médiatisation de l’interprétariat dans les milieux de la santé, sensibilisation des professionnels de la santé à la diversité). En plus de la barrière de la langue, les auteurs soulignent l’importance de poursuivre la recherche autour des dimensions culturelles, religieuses, des expériences de la vie (p. ex. : vécus traumatiques) des personnes réfugiées et migrantes et des différences avec le professionnel de la santé pouvant impacter la communication et la qualité des soins fournis.

À l’échelle interpersonnelle, les résultats suggèrent de développer la formation en terminologie médicale des interprètes et de leur offrir de plus grandes occasions de pratiquer au contact des professionnels de la santé. Concernant les enjeux de confidentialité et le sentiment de sécurité chez la patiente, certains éléments facilitateurs potentiels peuvent être envisagés tels que : recruter un interprète de même langue mais d’un pays d’origine autre que celui de la patiente ; employer davantage de professionnels de la santé bilingues ou ; privilégier le recours aux interprètes par modalité téléphonique lorsque nécessaire.

Pour finir, au niveau systémique, les professionnelles de la santé ont rapporté de nombreux défis et obstacles dans la communication avec les patientes quand l’interprète est un homme (p. ex. : pudeur entourant sa sexualité et les expériences traumatiques passées pouvant y être associées, codes culturels et sociaux entourant la communication inter-genres de la sexualité, gêne chez l’interprète homme à traduire certains termes à la patiente). Au regard de ces défis impactant la communication et la rareté des femmes interprètes, les auteurs suggèrent la nécessité d’en augmenter le nombre et la disponibilité dans ces services.

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