CERDA – Centre d’expertise sur le bien-être et l’état de santé physique des réfugiés et des demandeurs d’asile

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Juil 01
INFO - Séparations familiales et santé mentale des réfugiés
Fiches synthèses et infographies

Séparations familiales et santé mentale des réfugiés

Miller, A., Hess, J. M., Bybee, D., & Goodkind, J. R. (2018). « Understanding the mental health consequences of family separation for refugees: Implications for policy and practice », American journal of orthopsychiatry, 88(1), 26.

En bref – Cette fiche synthèse présente les résultats d’une étude portant sur les conséquences psychologiques de la séparation familiale dans le parcours migratoire de réfugiés au Nouveau-Mexique (États-Unis). Les thèmes qui émergent de l’analyse qualitative sont : la détresse de séparation et les craintes pour la sécurité physique de la famille demeurant au pays d’origine, le sentiment d’impuissance à soutenir sa famille à l’étranger, les enjeux de partage et de communication, le conflit à vouloir rester dans le pays d’accueil et les perturbations culturelle et identitaire qu’engendre la séparation familiale. Les résultats quantitatifs indiquent une association négative entre d’un côté l’expérience de séparation familiale et d’un autre côté la qualité de vie et l’état de santé mentale chez les réfugiés dans le pays d’accueil.

À télécharger : Fiche synthèse et Fiche infographie

1. Contexte

Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), 21,3 millions de personnes ont le statut de réfugié à l’échelle mondiale. En plus des violences et évènements traumatiques vécus dans le pays d’origine, les personnes réfugiées sont confrontées, dans le pays d’accueil, aux enjeux de la réinstallation, à des expériences de discrimination et parfois à des séparations familiales. Ces facteurs de stress les prédisposent à ressentir de la détresse émotionnelle dans le pays d’accueil.

Si le droit américain prévoit une procédure de réunification familiale, la littérature scientifique souligne sa complexité et la lourdeur des preuves à fournir (p. ex. : test ADN). De plus, les représentations de la famille selon les requérants (p. ex. : famille élargie) et les directives étatiques de réunification familiale des pays occidentaux (p. ex. : noyau nucléaire) peuvent être incompatibles. À ce jour, peu d’études explorent de manière spécifique l’expérience vécue de séparation familiale et son impact sur la santé mentale des réfugiés dans le pays d’accueil.

2. Méthodologie

La présente étude compte 165 participants arrivés avec le statut de réfugié en provenance de trois régions principales (Afghanistan/Région perse (52), Iraq/Syrie (77) et la région des Grands Lacs d’Afrique (36)). Le protocole est à devis mixte, qualitatif et quantitatif, avec une cueillette de données échelonnée sur 14 mois. Les données qualitatives portant spécifiquement sur la séparation familiale ont été analysées de manière thématique. Pour les données quantitatives, les scores obtenus aux questionnaires Hopkins Symptom Checklist–25 measure of emotional distress (Derogatis et al., 1974), PTSD Checklist—Civilian Version (Weathers et al., 2013) et le World Health Organization Psychological Quality of Life scale (The WHOQOL Group, 1998) ont été analysés au regard de la variable « séparation familiale » à deux modalités (séparation ou non). Selon la littérature scientifique, ces outils de mesure sont adaptés (p. ex. : traduction) et ont démontré leur validité dans des contextes de recherche auprès des personnes réfugiées.

3. Résultats

Résultats qualitatifs : séparation familiale, vécu émotionnel négatif et rupture identitaire dans l’expérience de réinstallation

Détresse de séparation et crainte pour la sécurité physique de la famille demeurant au pays d’origine

La séparation familiale est décrite comme la principale source de détresse dans le pays d’accueil : souffrance, dépression, omniprésence de pensées négatives, besoin constant d’informations relatives à la situation dans le pays d’origine et de la sécurité de la famille. Ces préoccupations quotidiennes constituent un obstacle à la réinstallation des personnes réfugiées, qui peuvent avoir tendance à négliger leur propre situation. Cet impact psychologique est d’autant plus conséquent dans les moments où la personne réfugiée n’obtient que peu d’informations concernant le bien-être de sa famille.

Sentiment d’impuissance à soutenir sa famille à l’étranger

Le contexte de réinstallation est souvent associé à de la précarité et les personnes réfugiées font mention d’un sentiment d’impuissance à soutenir leur famille autant financièrement (p. ex. : envoi de fonds monétaires) que dans la vie quotidienne (p. ex. : s’occuper de ses petits-enfants). En ce sens, elles soulignent leur pessimisme concernant une amélioration de leur situation dans l’avenir et donc une pérennisation potentielle de ce sentiment d’impuissance dans le temps.

Enjeux de partage et de communication

La distance avec la famille est une expérience affective nouvelle pour la majorité des participants et constitue un obstacle au bien-être dans le pays d’accueil. Le manque de contact régulier et physique avec la famille est associé à un sentiment de vide, une insatisfaction affective, ainsi que des perturbations de l’humeur. La famille est souvent perçue comme un facteur aidant et nécessaire face à l’adversité, mais en cas de séparation, elle est souvent absente de l’expérience complexe de la réinstallation. Ainsi, les participants ressentent de la frustration à ne pouvoir partager à leur famille les détails de leur expérience dans le pays d’accueil. La rétention d’information peut être justifiée comme moyen préventif afin de protéger et préserver la famille absente. En ce sens, un participant souligne l’arrêt de communications par vidéos afin de ne pas alarmer sa famille sur son mauvais état de santé physique.

Conflit émotionnel sur sa décision de rester aux États-Unis

Les personnes peuvent également vivre un conflit émotionnel, entre la tristesse d’être à distance de sa famille et le désir de rester dans le pays d’accueil pour sa propre intégrité. Cette tension est également rapportée par les membres de la famille restés dans le pays d’origine, entre la tristesse face au départ des proches pour le pays d’accueil et le désir qu’ils y demeurent en sécurité.

Perturbation culturelle et identitaire

Pour certains participants, la famille est une composante culturelle importante, un ensemble plus large que la famille nucléaire, assurant une certaine congruence culturelle, religieuse et la continuité du système de représentations et de valeurs. La séparation familiale constitue un obstacle au maintien des coutumes, de la pratique quotidienne religieuse et renforce un sentiment d’étrangeté culturelle dans le pays d’accueil. La famille est associée sur le plan existentiel à un ensemble « qui guide » et assure le maintien de soi, socle identitaire avec lequel les personnes réfugiées ne sont plus en contact immédiat dans le pays d’accueil.

Résultats quantitatifs : association négative entre séparation familiale et santé mentale

Les résultats des tests quantitatifs indiquent que les personnes réfugiées en situation de séparation familiale rapportent davantage de symptômes d’anxiété, de dépression, de stress post-traumatiques et une moins bonne qualité de vie perçue que les personnes réfugiées qui n’ont pas été séparées de leur famille. Cette tendance est observée de manière indépendante du nombre d’années passées dans le pays d’accueil. De plus, à elle seule, la séparation familiale explique 4% de l’augmentation des symptômes rapportés de type anxieux et dépressifs, 7% des symptômes rapportés de type post-traumatiques et 5% de la diminution de la qualité de vie perçue.

L’expérience de séparation familiale est l’un des seuls événements traumatiques qui, pris individuellement, explique de manière significative une variation dans les symptômes rapportés et la qualité de vie perçue (c’est le cas aussi pour les expériences d’agressions sexuelles et d’actes de torture).

4. Discussion

Selon Miller et al. (2018), la facilitation des procédures de réunification et leur adéquation culturelle constituent des enjeux primordiaux dans la prise en charge juridique et politique des personnes arrivées avec le statut de réfugié.

L’étude de l’usage des nouvelles technologies de communication en contexte d’exil (p. ex. : Skype) et de potentiels facteurs de protection soutenant l’expérience du réfugié en contexte de séparation familiale constituent des perspectives pertinentes de recherche et d’interventions pour l’avenir.

Pour aller plus loin

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