Redditt, V. J., Graziano, D., Janakiram, P., & Rashid, M. (2015). État de santé des nouveaux réfugiés à Toronto, en Ontario : Partie 1 : maladies infectieuses. Canadian Family Physician, 61(7), e331-e337.
En bref – Cette étude analyse de manière rétrospective les dossiers médicaux de 1063 personnes réfugiées ayant consulté à une clinique de soins primaires spécialisés dans les soins aux réfugiés (Toronto) entre décembre 2011 et juin 2014. L’étude est bâtie autour de deux volets (maladies infectieuses et maladies chroniques). Le premier volet qui fait l’objet du présent article met en lumière : 1) une prévalence significativement plus haute de maladies infectieuses comparativement à la population générale et 2) une spécificité clinique liée au pays de provenance et aux situations personnelles des patients. Un dépistage spécifique au regard du pays de provenance et des traitements préventifs est recommandé pour la prise en charge médicale des personnes réfugiées nouvellement arrivées.
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1. Contexte
En 2015, le Canada a accueilli près de 25 000 personnes avec le statut de réfugié. Ces personnes présentent un état de santé moindre et un tableau clinique qui diffère des tendances observées chez les personnes nées au Canada ou au sein d’autres catégories migratoires dites non réfugiées. L’état de santé et la nature des maladies contractées dépendent en partie du pays d’origine, des conditions de vie, de l’historique de la personne (p. ex. : antécédents médicaux, emploi occupé), des trajectoires migratoires ainsi que de l’accès ou non à des soins médicaux. Avant ou dès leur arrivée au Canada, les personnes réfugiées doivent se soumettre à l’examen médical aux fins de l’immigration. Le test de dépistage standardisé comprend une brève anamnèse et un examen physique, une tomodensitométrie des poumons (à partir de 11 ans), un test d’urine (à partir de 5 ans) et un test de dépistage de la syphilis et du VIH (à partir de 15 ans).
Redditt et al. (2015) soulignent une méconnaissance de l’état de santé général des personnes réfugiées et des spécificités régionales notamment sur le plan infectieux, tant chez les prestataires de soins qu’au niveau des données publiées. Si les résultats observés permettent la formulation de recommandations, les auteurs soulignent les limites d’une généralisation à d’autres groupes de patients, localisations géographiques et périodes dans le temps. En effet, la collecte de données est limitée dans le temps (entre 1er décembre 2011 et le 23 juin 2014), et l’échantillon à l’étude admet des spécificités relatives à la date d’arrivée, la date de consultation après l’arrivée, la localisation de la clinique (Canada, Toronto), le statut migratoire (uniquement des personnes en demande d’asile) ou encore la démarche volontaire d’obtenir des soins médicaux.
2. Méthodologie
L’étude est bâtie autour d’une analyse rétrospective des dossiers médicaux électroniques de 1063 personnes réfugiées ayant fréquenté une clinique de soins primaires spécialisés dans les soins aux réfugiés (Toronto) entre décembre 2011 et juin 2014. Les données récoltées sont issues des informations socio-démographiques couplées aux résultats du test de dépistage standardisé administré aux personnes réfugiées à leur arrivée au Canada.
Sur les 1063 personnes ayant consulté à la clinique de Toronto, légèrement plus de femmes (56%) que d’hommes (44%) ont été enregistrées. L’âge médian des patients était de 29 ans dont 11% avaient moins de 5 ans. La majorité des personnes étaient arrivées avec le statut de demandeur d’asile, seulement 5% avaient bénéficié du programme de prise en charge par l’État. 87 pays de naissance différents ont été répertoriés, les pays de provenance principaux étaient la Hongrie, la Corée du Nord et le Nigéria. Les patients ont été référés vers la clinique de Toronto principalement par les centres pour les réfugiés dans environ 70% des cas, puis de manière moindre par la famille ou les amis, d’autres organismes communautaires ainsi que par les prestataires de soins de santé.
3. Résultats
Portrait infectieux
Maladies virales
2 % des patients testés avaient un résultat positif au test de sérologie du VIH, soit une prévalence du VIH significativement plus élevée que celle observée au Canada (0,2%). De manière analogue, le taux d’hépatite B était bien plus élevé chez les personnes réfugiées (4%) comparativement à la population générale canadienne (0,4%). Pour l’hépatite C, les personnes réfugiées présentaient une prévalence similaire à celle observée au sein de groupes de nouveaux arrivants dits « non-réfugiés », mais demeurant tout de même plus élevée que celle mesurée dans la population née au Canada.
8 % des personnes présentaient une réceptivité à la varicelle, un taux ayant tendance à décroitre avec l’âge. Néanmoins, tous les patients de plus de 50 ans étaient immunisés.
Maladies parasitaires
3 % des patients présentaient des symptômes d’infection à strongyloïdes avec une prévalence égale entre enfants et adultes. 15 % ont obtenu des résultats positifs à la sérologie de la schistosomiase tandis que des parasites gastro-intestinaux ont été relevés chez 16 % des 391 échantillons de selles soumis. Les espèces les plus fréquentes étaient : Dientamoeba fragilis, Entamoeba histolytica et Entamoeba dispar.
Infections transmissibles sexuellement
2 % des femmes testées (7/313) (p. ex. : test de dépistage, test Pap, dépistage prénatal) avaient un résultat positif pour la chlamydia, 1 % pour la syphilis tandis qu’aucun cas pour la gonorrhée n’a été observé. Il est à noter qu’aucun homme n’a passé de test de dépistage systématique des ITS.
Variabilité : spécificités géographiques et sévérité des pronostics
La variabilité des profils infectieux des patients était en majeure partie expliquée par la région ou pays d’origine et quelques déterminants sociaux de la santé (logement, accès aux soins, etc.).
En ce sens, la majorité des cas de VIH étaient observés chez des femmes en provenance d’Afrique (13 femmes/14) tandis que le diagnostic d’hépatite B ainsi qu’une réceptivité plus grande à l’hépatite C étaient plus fréquents chez les personnes originaires d’Asie. En termes de réceptivité à la varicelle, les patients originaires des Amériques présentaient la prévalence la plus élevée (21 %). Sur le plan parasitaire, le taux le plus élevé concernait les personnes originaires d’Afrique dont 15 % ont obtenu des résultats positifs à la sérologie de la schistosomiase.
En plus de la prévalence, les infections contractées étaient associées à des pronostics plus sévères en raison des régions particulièrement endémiques et des conditions de vie préalables : aspect chronique de l’hépatite B et réceptivité élevée au virus dû au surpeuplement dans les logements (Asie de l’Est), âge plus avancé de réceptivité à la varicelle et pronostic plus sévère avec l’augmentation de l’âge (régions tropicales, Amériques).
4. Discussion et recommandations
Cette étude souligne le fardeau que peuvent constituer les maladies infectieuses sur l’état de santé de ces patients réfugiés nouvellement arrivés. En comparaison avec les données sanitaires de la population née au Canada et des autres groupes migratoires dits non réfugiés, les personnes réfugiées présentent un profil médical spécifique traduisant des besoins uniques en matière de santé.
Les auteurs mentionnent l’existence actuelle de tests et de traitements curatifs efficaces pour la majorité des maladies infectieuses citées (p. ex. hépatite C), ceci permettant de prévenir les complications subséquentes. Dès lors, une démarche de dépistage spécifiée par région de provenance et situation personnelle du patient apparait comme une voie préventive plus efficace et également plus rentable pour le système de santé.
Au regard des hauts taux de réceptivité aux maladies infectieuses, des recommandations relatives aux politiques publiques de santé soulignent la pertinence de programmes de vaccination systématiques pour prévenir l’incidence de nouvelles personnes affectées par une maladie infectieuse (p. ex. vaccin contre l’hépatite B).
Ultimement, les auteurs soulignent l’importance d’une exploration en profondeur de l’état de santé des personnes réfugiées et par conséquent l’ouverture à d’autres champs cliniques tels que la santé mentale ou encore les maladies chroniques.