Redditt, V. J., Graziano, D., Janakiram, P., & Rashid, M. (2015). État de santé des nouveaux réfugiés à Toronto, en Ontario : Partie 2 : maladies chroniques. Canadian Family Physician, 61(7), e338-e343.
En bref – Cette étude analyse de manière rétrospective les dossiers médicaux de 1063 personnes réfugiées ayant consulté entre décembre 2011 et juin 2014, en clinique de soins primaires spécialisés dans les soins aux réfugiés (Toronto). Ce deuxième volet consacré aux maladies chroniques (lire le premier volet sur les maladies infectieuses) met en lumière : 1) un risque accru chez les personnes réfugiées d’arriver avec une maladie chronique ou d’en développer une dans le pays d’accueil (cancer du col de l’utérus, anémie, élévation de la tension artérielle, diabète), et 2) une relation de prévalence entre certaines maladies chroniques et certaines données démographiques spécifiques (p. ex. : sexe, âge, pays de provenance). De manière analogue aux maladies infectieuses, ce deuxième volet souligne l’importance de fournir aux personnes réfugiées des soins primaires complets basés sur la prévention et la prise en charge des maladies chroniques.
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1. Contexte
En 2015, le Canada a accueilli près de 25 000 personnes avec le statut de réfugié. À travers le monde, le fardeau des maladies chroniques s’accroit et les personnes réfugiées sont à haut de risque de développer une maladie chronique du fait de facteurs prémigratoires (p. ex. : exposition à la violence sexuelle, accès aux soins de santé) mais aussi de facteurs postmigratoires attribuables aux modifications conséquentes du mode de vie dans le pays d’accueil (p. ex. : adaptation à une nouvelle alimentation, hygiène de vie, diminution des activités physiques). Face à ce risque accru de maladies chroniques, Redditt et al. (2015) rapportent une méconnaissance « criante » de l’état de santé général des personnes réfugiées. Dès lors, mieux comprendre les affections chroniques chez les personnes réfugiées devient un enjeu afin d’améliorer les pratiques de soins préventives et curatives offertes à cette population.
2. Méthodologie
L’étude est bâtie autour d’une analyse rétrospective des dossiers médicaux de 1063 personnes réfugiées ayant fréquenté une clinique de soins primaires spécialisés dans les soins aux réfugiés (Toronto) entre décembre 2011 et juin 2014. Les données récoltées sont issues des informations sociodémographiques (p. ex. : âge à la première visite, sexe, pays de naissance, statut migratoire et organisme ou contact à l’origine de la référence) couplées aux résultats du test de dépistage standardisé administré aux personnes réfugiées à leur arrivée au Canada : cancer du col de l’utérus, anémie, élévation de la tension artérielle et diabète.
Sur les 1063 personnes ayant consulté à la clinique de Toronto, légèrement plus de femmes (56%) que d’hommes (44%) ont été enregistrées. L’âge médian des patients était de 29 ans dont 11% avaient moins de 5 ans. La majorité des personnes étaient arrivées avec le statut de demandeur d’asile, seulement 5% avaient bénéficié du programme de prise en charge par l’État. 87 pays de naissance différents ont été recensés, les pays de provenance principaux étaient la Hongrie, la Corée du Nord et le Nigéria.
3. Résultats
Portrait des maladies chroniques et variabilité sociodémographique
Cancer du col de l’utérus
Sur 284 tests, 31 femmes âgées de 15 ans et plus avaient des résultats positifs au test Pap, un taux significativement plus élevé (11%) que celui retrouvé dans la population générale canadienne (5%). Une différence significative était observée selon les régions et les femmes originaires d’Asie présentaient une prévalence plus élevée de résultats anormaux (26%). Au regard des connaissances actuelles, les auteurs recommandent un premier test Pap après 21 ou 25 ans puis tous les 3 ans ainsi qu’un meilleur accès à la vaccination contre le virus du papillome humain (VPH). De plus, l’intégration d’interprètes et d’organismes de soutien social apparaissent comme un facteur facilitant l’adhésion des patientes aux pratiques préventives et au suivi dans le temps.
Anémie
Au niveau des seuils d’hémoglobine, le taux global d’anémie, âge et sexe confondus, était de 15% chez les personnes réfugiées de l’échantillon. La variabilité sociodémographique indique que 37% des femmes étaient anémiques contre seulement 3% des patients masculins. Selon la région de provenance, les patients originaires d’Afrique présentaient un taux d’anémie significativement plus élevé. Par conséquent, le jumelage de ces deux variables sociodémographiques indiquait une prévalence plus importante chez les femmes originaires d’Afrique (37%). Parmi les enfants âgés de moins de 5 ans, 14% étaient anémiques sans qu’une variabilité géographique soit observée. En comparaison avec la population canadienne (à l’exception des populations autochtones) (2 à 10%), les enfants et les femmes réfugiés présentaient des taux plus élevés d’anémie (21%). En termes de recommandations, la supplémentation en fer apparait comme une mesure de dépistage de routine peu couteuse et facile à implanter pour le suivi des femmes en âge de procréer ainsi que des enfants.
Élévation de la tension artérielle
30% des patients âgés de plus de 15 ans présentaient une élévation de la tension artérielle plus importante que dans la population canadienne, avec un taux significativement plus élevé chez les hommes (38%) que chez les femmes (23%). Avec le vieillissement, le taux augmentait et 78% des patients de plus de 60 ans présentaient une élévation de la tension artérielle. Au niveau régional, les patients originaires d’Europe avaient le taux le plus élevé (42%). En termes d’évaluation de la tension artérielle, Reddit et al. soulignent que la mesure et les résultats peuvent varier (p. ex. : anxiété au moment du test) d’où la nécessité de faire des études complémentaires. Dans l’attente d’une meilleure connaissance du phénomène, il est recommandé de répéter le nombre de mesures afin de confirmer le diagnostic et de favoriser en conséquence la délivrance d’antihypertenseurs.
Diabète
8% des patients âgés de plus de 15 ans présentaient une anomalie au niveau glycémique. De manière analogue aux tendances relatives à l’élévation de la tension artérielle, le taux le plus élevé était observé pour les patients originaires d’Europe. De plus, ce taux augmentait avec le vieillissement : 43% des patients âgés de plus de 60 ans avaient des résultats glycémiques anormaux. Les taux sont similaires à ceux mesurés dans la population générale canadienne. En plus de développer les tests de dépistage du diabète (p. ex. : un seul test utilisé à ce jour) pour préciser le diagnostic, les auteurs soulignent l’importance d’évaluer les changements de mode de vie postmigratoires et de développer des pratiques préventives centrées sur le patient et adaptées culturellement.
4. Discussion et recommandations
Si notre attention première se porte davantage sur les maladies infectieuses, les maladies chroniques constituent elles aussi un fardeau pour la santé des personnes réfugiées nouvellement arrivées. À titre explicatif, Reddit et al. soulignent que la phase de réinstallation, souvent marquée par une certaine précarité financière, entraine des modifications alimentaires et une réduction des activités physiques favorisant le développement d’affections chroniques (p. ex. : diabète, hypertension et obésité). Au regard des facteurs pré et postmigratoires et des disparités nationales (p. ex. : pays d’origine) mais aussi régionales à l’intérieur d’un même pays, les auteurs recommandent de développer une approche préventive centrée sur la distribution épidémiologique régionale ainsi que sur l’historique unique du patient.
Dans des projets futurs et au regard de la rareté des études sur la santé des personnes réfugiées, les auteurs indiquent l’importance de multiplier les investigations portant sur les maladies chroniques, la santé mentale, les meilleurs pratiques préventives et de traitement ainsi que l’accès aux soins de ces personnes dont cette étude en deux volets souligne la vulnérabilité sur le plan sanitaire.