Kahn, S. & Alessi, E.J. (2017). « Coming out under the gun: Exploring the psychological dimensions of seeking refugee status for LGBT claimants in Canada », Journal of Refugee Studies, vol. 31, n. 1, pp.22-41.
En bref – Cette fiche synthèse présente les résultats et recommandations de l’étude de Kahn et Alessi (2017) sur les conséquences psychologiques engendrées par le processus de demande du statut de réfugié relative à une orientation sexuelle ou identité de genre (SOGI) au Canada. L’étude qualitative fait état de quatre sources différentes de conséquences psychologiques : le récit de son histoire traumatique, le dévoilement de son orientation sexuelle ou identité de genre, le manque de temps lié aux délais courts de la procédure de demande du statut de réfugié ainsi que le temps d’après-procédure avec des conséquences psychologiques à long terme.
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1. Contexte
En 1991, le Canada fût le premier pays à accueillir des demandeurs d’asiles sur la base de persécutions relatives à une SOGI. Entre 1999 à 2002, le Canada a reçu 2500 demandes et, depuis, cette tendance ne fait que s’accentuer.
Les relations sexuelles entre personnes de même sexe sont condamnées dans 75 pays avec une peine maximale pour huit d’entre eux. Tel que stipulé dans la Convention relative au statut des réfugiés, les demandes relatives à une orientation sexuelle ou identité de genre (SOGI) constituent un motif d’accès à l’octroi du statut de réfugié selon la cinquième catégorie de la présente convention intitulée « membres d’un groupe minorité de sexe ou de genre ».
Les recherches montrent que les migrants forcés LGBT présentent des symptômes de dépression, de trouble de stress post-traumatique, d’anxiété et de trauma complexe. Ceci est en partie expliqué par la prépondérance d’histoires d’abus et de violences répétées, pour la plupart ayant eu lieu dès l’enfance. Les études soulignent le caractère retraumatisant du processus d’accès au statut de réfugié qui impose une remémoration de l’expérience traumatique vécue ainsi que sa mise en récit. À ceci s’additionne la nécessité de dévoiler et de prouver son orientation sexuelle ou identité de genre, ce qui n’est pas sans conséquence psychologique pour le requérant, mais à ce jour encore peu documenté.
2. Méthodologie
L’étude est une recherche de type qualitative basée sur des entrevues semi-dirigées auprès de 7 personnes ayant obtenu le statut de réfugié sur la base de SOGI et de 22 prestataires de services œuvrant avec des migrants forcés LGBT (5 législateurs, 4 professionnels de la santé, 6 avocats, 5 travailleurs communautaires et 2 sponsors privés). Au total, 29 entrevues ont été conduites et analysées.
3. Résultats
Les difficultés de partager son histoire traumatique
Les prestataires de service soulignent les difficultés liées au dévoilement du récit traumatique relatif à l’orientation sexuelle ou de genre. Premièrement, ce moment de construction du récit et de dévoilement se réalise dans un contexte d’instabilité pour le demandeur (précarité, stress relié à la procédure de demande, nouveau contexte culturel). De plus, dans leur pays d’origine, les personnes LGBT ont souvent dû se cacher, dissimuler une partie de leur identité et être dans le secret sous peine d’être persécutées. Dans le pays d’accueil, les modalités du processus de demande d’asile imposent au requérant d’aller à l’encontre de cette habitude et de se dévoiler auprès d’une personne qui lui est totalement étrangère. À ceci s’ajoute la difficulté pour les migrants forcés LGBT de se souvenir et de partager des histoires d’abus et de persécution qui ont pu avoir lieu dès l’enfance. Par conséquent, ce dévoilement peut constituer une épreuve pour la personne aux prises avec de fortes réactions émotionnelles au moment de l’évocation (p. ex. : trembler, pleurer) et qui peut engendrer des conséquences psychologiques importantes (dépression, anxiété, risque suicidaire).
Les preuves de son orientation
Les personnes interrogées soulignent l’incongruence entre les besoins du demandeur d’asile et ceux du prestataire de service. Les demandeurs d’asile évoquent leur difficulté et hésitation à fournir de nombreuses preuves de leur orientation notamment ancrées dans leur pays d’origine : ils peuvent sentir une menace ou un danger auprès de leur communauté d’origine que ce soit pour eux ou leur famille résidant dans le pays d’origine. De plus, dans de nombreux contextes culturels et religieux dans lesquels les personnes ont évolué, l’orientation sexuelle et l’identité de genre constituent un péché dont le dévoilement peut occasionner des conséquences émotionnelles voir même une rupture identitaire. Selon les prestataires de services, ceci s’oppose à leur mandat de pousser le demandeur d’asile à prouver son orientation de la manière la plus précise et détaillée possible, par exemple en incitant la personne à dévoiler des détails intimes relatifs à son attirance ou à ses rencontres sexuelles. De plus, ils peuvent lui suggérer de faire partie de groupes LGBT ou de participer à des activités afin de prouver publiquement son appartenance.
Les délais réduits de procédure
Au Canada, les délais de procédure d’octroi de l’asile se situent dans un intervalle de temps de 30 à 60 jours. Selon les prestataires de service, ces courts délais peuvent engendrer des conséquences psychologiques chez les demandeurs d’asile : attaque de panique, insomnie, anxiété chronique. Dans le cas spécifique des migrants forcés LGBT, les délais brefs ne sont pas favorables au bon déroulement du processus complexe d’identification à une orientation sexuelle ou à un genre. Ceci est d’autant plus manifeste que cette identification a lieu dans un contexte de valeurs et de normes socio-culturelles occidentales pouvant s’écarter de la construction culturelle de l’identité LGBT de la personne.
Les conséquences psychologiques et émotionnelles dans le temps
Les demandeurs et les prestataires de service évoquent des conséquences psychologiques à court et long terme associées au processus de demande d’asile. À court terme, que l’issue de la demande soit ou non favorable, il est fait mention d’un effondrement immédiat après une procédure particulièrement stressante. À long terme, les demandeurs et prestataires s’accordent pour qualifier l’après procédure de blessure, d’un sentiment de vide et de désorientation. Autant chez les prestataires de service que les demandeurs d’asile, il est fait mention de la nécessité de temps après la procédure pour récupérer et « cicatriser ». De manière nuancée, certains prestataires de service soulignent dans leur expérience l’existence de cas où la procédure de demande a eu aussi des conséquences positives notamment en terme d’empowerment à travers l’exercice de mise en récit, de se raconter et de témoigner.
4. Discussion et recommandations
Le premier point discuté est l’importance de prendre en compte les conséquences psychologiques associées aux événements traumatiques vécus par les migrants forcés LGBT (p. ex. : abus dans l’enfance, agression sexuelle) et la difficulté de leur dévoilement. Pour cela, il apparaît nécessaire d’inclure des professionnels de santé mentale dans le processus d’accompagnement des demandeurs d’asile dans leurs procédures et d’avoir des prestataires de service (p. ex. avocats) formés sur les thématiques de la santé mentale (p. ex. : traumatismes, réactions et séquelles, etc.).
Le deuxième point est la nécessité de prendre conscience de la difficulté et des conséquences psychologiques relatives au dévoilement de son orientation sexuelle et identité de genre dans le pays d’accueil. Les auteurs soulignent que « prouver d’être gai » selon les valeurs occidentales peut constituer une expérience d’étrangeté ou d’invalidation dans l’expérience spécifique individuelle du migrant forcé LGBT. Il est recommandé aux prestataires de service d’adopter une posture compréhensive favorisant un processus d’identification ajusté à la réalité individuelle de la personne (ex. déterminants culturels, croyances, représentations).
Pour finir, l’étude indique un consensus autour d’un délai de procédure jugé trop court. Ce manque de temps occasionne ou accentue les répercussions psychologiques à court et long terme pour le demandeur d’asile. Par conséquent, Kahn et Alessi (2017) recommandent d’allonger ces délais à un an.