Nakeyar, C., Esses, V., & Reid, G. J. (2018). The psychosocial needs of refugee children and youth and best practices for filling these needs : A systematic review. Clinical child psychology and psychiatry, 23(2), 186-208.
En bref – Cette fiche synthèse présente les résultats d’une revue de littérature portant sur les besoins psychosociaux des enfants et jeunes réfugiés (5-18 ans) durant la phase de réinstallation dans le pays d’accueil. Le développement d’un sentiment de bien-être et la capacité à s’adapter à son nouvel environnement sont étudiés à travers l’analyse de 4 thématiques : le support social, la sécurité, la culture et l’éducation. Pour chacun de ces thèmes, des recommandations sont faites afin d’appuyer la mise en place de politiques publiques et de programmes dédiés aux besoins spécifiques des enfants et jeunes réfugiés.
À télécharger : Fiche synthèse et Fiche infographie
1. Contexte
Dans le monde, la moitié des personnes réfugiées a moins de 18 ans, soit 8,05 millions de jeunes, auxquels s’ajoutent 98 400 mineurs non accompagnés en demande d’asile (MNA). En contexte de migration forcée, les enfants sont sous la juridiction de deux conventions : la Convention relative au statut des réfugiés (UNHCR, 1951) et la Convention relative aux droits de l’enfant (UN General Assembly, 1989, art.22). Cette double assignation juridique nous rappelle que le respect des droits de l’enfant est une prérogative, même en contexte de réinstallation.
Comme tout enfant, ces derniers vivent le passage de stades développementaux les préparant à la vie adulte. Le déroulement adéquat de ces étapes et le support social des pairs, des parents et du système éducatif favorisent un développement harmonieux au niveau de l’estime de soi, du sentiment d’appartenance et d’identité chez l’enfant (Erickson, 1959). Néanmoins, un contexte de migration forcée prédispose l’enfant réfugié à vivre des défis spécifiques : séparation avec les pairs du pays d’origine, création de liens dans un contexte de différences culturelles, expériences de discrimination à l’école, besoin d’indépendance à l’adolescence entravé par les besoins familiaux, etc. Ces difficultés relationnelles peuvent entraîner à long terme une détérioration du sentiment de bien-être et d’appartenance, et contribuer à l’émergence de troubles psychosociaux ou à leur exacerbation (p. ex. : dépression, anxiété, faible estime de soi).
Nakeyar, Esses & Reid (2018) posent ainsi les bases qui justifient la nécessité de développer des politiques publiques et programmes qui leur sont dédiés dans les pays hôtes aux niveaux social, culturel, éducatif et sécuritaire.
2. Méthodologie
À l’issue de la procédure de revue systématique, 18 articles ont été retenus. Ces articles répondent aux critères d’inclusions suivants : 1) enfants ou adolescents âgés entre 5 et 18 ans, 2) réfugiés ou MNA, 3) réinstallation dans un pays occidental, 4) publication en anglais ; et aux critères d’exclusion suivants : 1) les articles dont le focus est la santé ou la santé mentale et 2) les écrits qui n’ont pas la forme d’un article scientifique (p. ex. : ouvrage). La qualité des études retenues a été évaluée par le biais de deux listes de contrôle admises par la communauté scientifique (The Downs and Black Quality Index, 1998 ; The Standards for Reporting Qualitative Research, 2014).
3. Résultats
Le support social : la communauté, la famille et les amis
Le support social est primordial au sentiment de bien-être chez l’enfant et à la capacité d’adaptation à un nouvel environnement. Au sein de la littérature, le support social se décline en trois piliers que sont la communauté, la famille et les amis.
Sur le plan communautaire, les programmes gouvernementaux et communautaires favorisent le sentiment d’appartenance civique et ethnoculturel. Néanmoins, ces programmes présentent certaines faiblesses au niveau de l’accès et du manque d’informations, entraînant des réticences chez les parents à inscrire leurs enfants et décourageant les enfants à y participer À l’inverse, les programmes de pairs aidants, organisés autour d’un jumelage entre un enfant ou une famille venant d’arriver et un jeune mentor ayant été réfugié par le passé, sont mieux accueillis par les bénéficiaires, répondent davantage à leurs besoins à l’arrivée et favorisent selon l’enfant un lien entre « l’ancien monde et le nouveau monde ».
Sur le plan familial, les études traduisent une détérioration des relations parent-enfant ainsi que des désaccords majeurs entre eux en termes de règles et d’autorité, trois ans après l’arrivée. Les parents sont confrontés à des défis de l’ordre de la confiance (p. ex. : laisser ses enfants fréquenter d’autres jeunes), de l’attachement (p. ex. : dépendre de ses enfants pour communiquer) et de la discipline (p. ex. : respecter les valeurs culturelles du pays d’origine). En parallèle, les enfants vivent une série de changements au niveau des modèles d’identification (p. ex. : l’enfant passe moins de temps aux côtés de son parent), des rôles familiaux (p. ex. : l’enfant qui maitrise mieux la langue du pays d’accueil devient l’interlocuteur de la famille) ainsi que dans leur perception des règles et valeurs parentales (p. ex. : les valeurs du pays d’origine sont jugées autoritaires et restrictives vis-à-vis des valeurs du pays d’accueil).
Sur le plan amical, les enfants et jeunes indiquent la difficulté de se faire des amis dans le pays d’accueil, entraînant un sentiment d’exclusion sociale, fragilisant la création d’un sentiment d’attachement au pays hôte et de bien-être durant la réinstallation. Basées sur leur expérience et les difficultés relationnelles rencontrées, les jeunes soulignent l’importance de n’être ni agressif ni passif dans leurs relations avec des camarades de classe.
Afin de soutenir le maintien d’un support social dans ce contexte culturel nouveau, les études recommandent l’intégration des familles dans des programmes de rencontres communautaires (p. ex. programme sportif pour enfants) ainsi que le développement de programmes de mentorat autour des relations familiales, la création de nouveaux amis et l’intégration dans une communauté nouvelle. Au regard de la réception favorable des programmes de jumelage, de leur rareté et par conséquent des longues listes d’attentes, il est également recommandé d’augmenter cette offre de service dans les pays d’accueil.
La sécurité
Le sentiment de sécurité peut être fragilisé par la précarité du statut de demandeur d’asile (pour les MNAs) comparativement aux personnes arrivées avec le statut de réfugié (GAR). Les MNAs demeurent dans un futur incertain quant à leur possibilité de rester dans le pays d’accueil et ne peuvent avoir accès aux services favorisant l’intégration (p. ex. apprentissage de la langue du pays d’accueil …).
À ceci s’ajoute la discrimination vécue qui concerne cette fois-ci autant les MNAs que les GAR. L’étude du Wesley Urban Ministries (2014) indique que 86% des jeunes réfugiés âgés entre 12 ans et 21 ans ont vécu des actes de harcèlement dans le pays d’accueil.
Afin de favoriser le sentiment de sécurité, les auteurs indiquent l’intérêt sur le plan juridique de considérer davantage le statut d’enfant que celui de demandeur d’asile pour les MNAs.
La culture
Sur le plan culturel, les enfants et jeunes rapportent vivre un conflit entre les normes et valeurs qui composent le cadre culturel du pays d’origine (p. ex. : maison) et celles du pays d’accueil (p. ex. : école). Les jeunes vivent une tension entre l’adoption de la culture du pays d’accueil et le maintien d’un lien étroit à la culture d’origine, entre le besoin de créer de nouveaux liens d’amitié et le désir de satisfaire leurs parents. Néanmoins, certaines études soulignent que le biculturalisme a pu être aidant pour certains jeunes dans leur intégration, leur ambition et leur réussite scolaire.
L’éducation
La poursuite scolaire dans le pays d’accueil est un objectif central autant pour les enfants réfugiés que leurs parents. À leur arrivée, les enfants estiment que le système scolaire peut faillir dans sa capacité à bien évaluer leurs connaissances de base (p. ex. : évaluation en fonction de l’âge sans tenir compte des périodes de déscolarisation).
Les enfants soulignent les facteurs facilitant leur intégration dans le système éducatif et la poursuite scolaire :
- La présence d’enseignants spécialisés : enseignants parlant la langue du pays d’origine, ayant connaissance des besoins spécifiques des enfants réfugiés et pouvant ainsi leur adresser des points d’apprentissages adaptés ;
- L’aide aux devoirs ;
- Une « attitude scolaire globale » (whole-school attitude ») : ensemble de directives pour favoriser l’intégration et la bienveillance et réduire les comportements racistes et discriminatoires chez les enseignants et les pairs.
En termes de recommandation, l’établissement de programmes d’ « attitude scolaire globale » et des formations en santé mentale (« mental-health literacy program) permettent d’outiller les enseignants et les pairs dans leur accueil et support auprès d’enfants et jeunes réfugiés.
4. Discussion et recommandations
Les enfants et leurs familles vivent une série de défis dans le pays d’accueil et ceci autant sur les plans social, culturel, éducatif, économique que juridique. Ces différentes sphères sont interdépendantes : un problème dans une sphère peut impacter d’autres facettes de la vie de l’enfant. Par exemple, une expérience discriminante à l’école pourrait avoir des répercussions sur le sentiment d’appartenance, mais aussi sur la réussite scolaire de l’enfant ; un échec scolaire pourrait par la suite avoir des conséquences sur les relations parents-enfants, etc. Ainsi, une vision systémique de ces besoins et de leur prise en compte dans des programmes de prise en charge favorisera chez ces familles une réinstallation réussie et une meilleure qualité de vie, réduira les enjeux sanitaires et de santé mentale et facilitera l’intégration des jeunes réfugiés et de leurs familles dans les pays hôtes.