Kronick, R. (2018). « Mental Health of Refugees and Asylum Seekers : Assessment and Intervention », The Canadian Journal of Psychiatry, vol.63, n°5, pp.290-296.
En bref – Les personnes réfugiées ont souvent vécu une multitude d’événements traumatisants préalables à leur installation au Québec et ces adversités pré-migratoires les mettent à risque de développer des troubles de santé mentale. Toutefois, d’autres facteurs de stress vécus pendant leur exil ainsi que dans la société d’accueil peuvent influencer leur bien-être ainsi que leur état de santé mentale. Dans cet article, la médecin psychiatre Rachel Kronick présente des approches en évaluation et en intervention qui ont fait leurs preuves auprès des personnes réfugiées.
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1. Contexte
Parmi les personnes réfugiées qui ont vécu des conflits armés, des pertes familiales, de la torture, des emprisonnements arbitraires, de la violence sexuelle, etc., on estime que plus de 20% d’entre elles souffrent d’anxiété, de dépression ou de stress post-traumatique une fois dans le pays d’accueil. À travers le monde, ces taux de troubles de santé mentale varient car le contexte post-migratoire influence leur bien-être, leur rétablissement ou encore le développement de pathologies. Par exemple, des études longitudinales canadiennes montrent que les personnes réfugiées ont tendance à bien s’adapter lorsqu’elles ont obtenu un statut permanent, alors que les stress liés à leur installation les rendent vulnérables. L’imbrication de tous ces facteurs de stress complexifie l’évaluation et l’intervention auprès de ces personnes qui présentent des enjeux spécifiques à leur trajectoire de migration. L’objectif de cet article est de dresser un portrait des données probantes relatives à certaines pratiques cliniques en santé mentale.
2. Évaluation
Dans la mesure où les facteurs de risque proviennent à la fois des contextes micro, méso et macro sociaux, une approche éco-systémique est de mise dans l’intervention auprès de personnes réfugiées.
La famille tient un rôle central dans le processus migratoire et si les séparations familiales ont tendance à aggraver les troubles de santé mentale, la présence de la famille dans le processus migratoire peut être un facteur de protection. Lorsque des proches sont en danger dans le pays d’origine, la personne peut nourrir une peur constante, alors que les liens forts qui se développent dans le vécu commun de la migration permettront de soutenir les plus vulnérables. En consultation clinique, la présence de la famille facilite le développement d’une relation de confiance avec le clinicien, bien que cela puisse engendrer des enjeux de confidentialité à aborder.
De plus, la précarité financière, l’incertitude du statut et les difficultés sociales vécues dans le pays d’accueil vulnérabilisent les personnes réfugiées tandis que l’accès à un logement et à un emploi sont des facteurs de protection pour leur santé mentale. La barrière linguistique figure parmi ces déterminants et lorsque les personnes ne parlent pas la langue, elles ont tendance à recevoir des soins de qualité inférieure aux normes habituelles. Lors des rencontres cliniques, l’utilisation d’un interprète formel est fortement recommandée car elle facilite l’interprétation du contenu non-verbal qui relèverait de la culture du patient. Toutefois, il n’est pas recommandé d’utiliser des interprètes informels car ils pourraient omettre de traduire certaines choses ou réorganiser du contenu.
En effet, l’expérience de la maladie et les expressions de la détresse diffèrent d’une culture à l’autre et, pour que les interventions fassent du sens pour le patient, il est important de tenir compte de ses modèles explicatifs. Par contre, certaines personnes pourront être réticentes à parler de leur bagage ethnoculturel, surtout lorsqu’elles ont vécu de la persécution basée sur leur identité, et d’autres pourront considérer qu’il est inapproprié d’aborder leurs difficultés post-migratoires avec le clinicien. Dans ce cas, le clinicien pourra leur expliquer que ces informations aideront l’intervention.
Pour terminer, le dévoilement des traumatismes et le dépistage systématique des symptômes traumatiques ne sont pas recommandés. Afin d’éviter le surdiagnostic, il est important de distinguer ce qui relève de la détresse et de la souffrance sociale de ce qui relève d’un désordre de santé mentale nécessitant une intervention spécialisée.
3. Intervention
L’empathie, le soutien émotionnel et le plaidoyer pour la défense de droits constituent les trois compétences essentielles du clinicien. Les experts recommandent d’adopter une intervention pyramidale avec les personnes réfugiées. Les priorités de la personne réfugiée sont souvent de l’ordre de l’intégration sociale : il s’agit dans un premier temps de répondre à ses besoins de base afin d’assurer sa sécurité immédiate, et de renforcer le soutien familial et communautaire dont elle bénéficie. Cela implique de la soutenir dans sa recherche de logement, son accès à l’emploi, la réunification familiale et, si elle le souhaite, de la mettre en contact avec des communautés ethniques et religieuses. Ensuite, certaines personnes auront besoin d’un soutien ciblé mais non spécialisé, que l’on peut leur offrir en les dirigeant vers des organismes communautaires (par exemple, des groupes de discussion pour des survivantes de violence sexuelle). Finalement, un faible pourcentage de personnes requerra des services spécialisés en santé mentale.
Il existe peu de preuves de l’efficacité des différentes orientations théoriques en psychothérapie (narrative exposure therapy, cognitive behavioural therapy, eye movement desensitization and reprocessing, pharmacotherapy). Le traitement psychologique axé sur le trauma sera alors privilégié, car il permet non seulement de réduire les symptômes, mais également de restaurer la continuité de la vie par l’intégration sociale. Toutefois, le clinicien devra au préalable vérifier que la personne est à l’aise de procéder à cette thérapie. En effet, certaines personnes ne sont pas prêtes à réinvestir leur mémoire traumatique, d’autres ne tolèrent pas les pratiques d’exposition directe.
4. Spécificités des enfants et des adolescents
Le bien-être des parents constitue un des facteurs de protection pour les enfants, tandis que les troubles psychosociaux chez les parents constituent un facteur de risque pour le développement de troubles psychiatriques. L’évaluation des enfants doit faire état des troubles du sommeil, cauchemars, inattention, repli sur soi, somatisation ou comportements déviants, qui ne correspondent pas toujours aux critères du syndrome de stress post-traumatique mais qui peuvent traduire des désordres ou de la détresse. Un travail autour du traumatisme est recommandé, par exemple à l’aide des approches thérapeutiques non verbales.
5. Du patient au clinicien, et inversement
Pour conclure, l’auteure rappelle que le clinicien peut également être affecté par l’exposition aux récits traumatiques de leurs patients. Afin de prodiguer une intervention adéquate, elle recommande aux cliniciens de prendre conscience de ces réactions possibles.
Pour approfondir ces concepts, le CERDA vous invite à consulter les fiches synthèses sur L’approche interculturelle dans le processus d’aide et Impasses thérapeutiques et contre-transfert culturel.