Robertshaw, L., Dhesi, S., & Jones, L. L. (2017). Challenges and facilitators for health professionals providing primary healthcare for refugees and asylum seekers in high-income countries : a systematic review and thematic synthesis of qualitative research. BMJ open, 7(8), e015981.
En bref – Cette fiche synthèse présente les résultats d’une revue de littérature portant sur l’expérience de professionnels de la santé en soins de première ligne intervenant auprès de personnes réfugiées ou en demande d’asile. L’analyse thématique met en lumière trois grandes catégories subdivisées en plusieurs thèmes associant éléments facilitants et défis rencontrés par les professionnels de la santé : 1) la rencontre (confiance, communication, compréhension culturelle, santé et conditions sociales, temps) ; 2) le système de santé (formation professionnelle, support professionnel, connexion avec d’autres services, organisation, ressources et capacités) ; et 3) les enjeux de demande d’asile et de réinstallation.
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1. Contexte
À la fin de 2015, on comptabilisait dans le monde 65,3 millions de personnes en situation de départ forcé, dont 21,3 millions de personnes réfugiées et 3,2 millions en demande d’asile. Dans les pays hôtes, les personnes réfugiées ou en demande d’asile constituent un sous-groupe spécifique issu de la migration, marqué par sa vulnérabilité et des besoins de santé complexes (p. ex. : maladies infectieuses, santé mentale). À leur arrivée dans le pays d’accueil, les équipes de première ligne constituent les premiers professionnels de la santé qu’ils rencontrent. Regroupant des professionnels cliniques et non cliniques provenant de champs disciplinaires divers (p. ex. : médecins de famille, sages-femmes), ces équipes de première ligne font face à de nombreux défis : contexte interculturel, besoins sociaux et sanitaires complexes, système de santé peu adapté aux besoins spécifiques. Cette revue systématique se veut la première à synthétiser les résultats issus des témoignages de professionnels de la santé intervenant en première ligne, spécifiquement auprès de personnes réfugiées ou en demande d’asile.
2. Méthodologie
À l’issue de la procédure de revue systématique, 26 articles ont été retenus pour un total de 21 études. Publiées entre 1999 et 2016, les études retenues ont toutes été conduites dans un pays hôte (p. ex. : Australie, Royaume-Uni) et sont basées sur l’analyse des discours de professionnels de la santé. Au total, les études regroupaient 357 professionnels de la santé (194 infirmières, 35 sages-femmes et 128 médecins). En termes de limites, les études sélectionnées étaient uniquement rédigées en anglais et excluaient d’autres corps de professionnels et type de services (p. ex. : santé mentale).
3. Résultats
La rencontre des soins de santé
La rencontre des soins de santé est définie comme l’engagement personnel mutuel entre le professionnel de santé et le bénéficiaire dans le cadre de la relation de santé qui s’établit entre les deux. Les professionnels de la santé rapportent des défis de nature essentiellement relationnelle et communicationnelle dans un contexte interculturel et postmigratoire de départ forcé. Établir un lien de confiance avec le patient devient un défi premier compte-tenu de la méfiance du bénéficiaire à l’encontre du praticien de santé (p. ex. : collaboration avec les services d’immigration, bris de confidentialité). En réponse, les professionnels de la santé indiquent l’importance de prendre le temps de rassurer le patient, d’expliquer leur rôle ainsi que leur devoir de confidentialité tout en maintenant une attitude d’ouverture à l’expérience migratoire et culturelle. La barrière de la langue et les différences de compréhension selon le bagage culturel sont deux défis quotidiens. Afin de réduire les bris de communication, l’usage d’un interprète est un élément majeur facilitant l’échange entre patient et professionnel de la santé qui nécessite cependant un aménagement logistique (p. ex. : coûts financiers, flexibilité) et des prérequis chez le professionnel en interprétariat (p. ex. : formation à la terminologie médicale et aux enjeux éthiques). Des différences culturelles d’interprétation de la santé, de la maladie ou encore de la nature des soins apportés peuvent impacter, sur le plan relationnel, à la fois le patient (p. ex. : sentiment d’inadéquation des soins reçus, exclusion) et le professionnel de santé (p. ex. : mauvaise compréhension des symptômes rapportés, censure professionnelle). Dès lors, les professionnels de la santé rapportent la nécessité d’aborder la relation transculturelle avec empathie et humilité culturelle. À terme, l’installation d’une relation de confiance empreinte d’ouverture et d’accueil encourage l’engagement du patient (p. ex. : dévoilement d’informations sanitaires capitales).
Sur un plan organisationnel, l’aménagement temporel des rencontres (p. ex. : temps supplémentaire) crée un cadre de pratique propice aux enjeux relationnels susmentionnés (p. ex. : relation de confiance) tout en étant un défi pour le professionnel œuvrant dans le système de santé actuel. À l’échelle personnelle, certains praticiens partagent le sentiment d’incompétence vécu devant des besoins de santé si spécifiques (p. ex. : erreurs médicales de type sous-diagnostic de certains symptômes). Le sentiment d’échec subséquent peut ternir la capacité du praticien à entrer en relation avec ce type de patient. En réponse, les professionnels de la santé invoquent la nécessité d’un système de santé plus soutenant à leur égard comme mentionné ci-dessous.
Le système de santé
Le système de santé est défini comme le regroupement des ressources matérielles, financières et humaines qui encadrent les prestations de services. De manière prioritaire, les professionnels de la santé soulignent l’importance d’avoir accès à des programmes de formation concernant les ressources disponibles pour les personnes réfugiées ou en demande d’asile, les spécificités de leur parcours migratoire, les soins sensibles au trauma et intégrant la conscience culturelle. Si les professionnels de la santé sont conscients de leur besoin en terme de connaissances, le manque ou l’absence d’information sur les formations ainsi que le temps pouvant être alloué à la formation professionnelle constituent des obstacles à l’amélioration de leur pratique. En plus de leurs propres services, les professionnels des soins de première ligne soulignent l’importance d’une pratique en partenariat avec d’autres services et organismes (p. ex. : organismes communautaires, associations). Néanmoins de nombreux services externes n’acceptent plus de référence en raison de l’absence de place disponible ou de services inexistants.
Les professionnels de la santé font part de leur besoin personnel d’être soutenu à travers un support professionnel et psychologique, un besoin qui selon eux demeure non reconnu par le système de santé. Ceci aboutit à un sentiment généralisé chez les professionnels d’être isolé dans leur expérience de contact avec les histoires traumatiques partagées quotidiennement par les patients. De plus, les conditions de travail actuelles augmentent la détresse de certains professionnels de la santé (p. ex. : réduction des effectifs, heures supplémentaires, etc.).
Face à des ressources externes saturées (services de santé spécialisés, services sociaux, organismes communautaires) et des structures de première ligne rigides, les professionnels estiment qu’introduire une certaine flexibilité organisationnelle dans le système de santé constitue un enjeu potentiellement atteignable pour des services de première ligne, notamment à travers certaines innovations telles que l’intégration de structures et de professionnels spécialisés dans des services de première ligne (p. ex. : services d’évaluation, experts), la délocalisation des structures à des endroits plus accessibles aux bénéficiaires (p. ex. : déménagement dans des quartiers cibles) et une organisation du travail adaptée aux besoins des bénéficiaires (p. ex. : horaire des services).
Demande d’asile et réinstallation
Enfin, l’un des derniers défis rapportés par les professionnels de la santé est celui d’être pris à témoin entre les intérêts parfois divergents des politiques migratoires et sanitaires du pays d’accueil et ceux du patient. Selon eux, les politiques migratoires qui encadrent l’accès aux soins des personnes réfugiées entrainent une prestation parfois limitée dont les besoins sanitaires du patient deviennent secondaires (p. ex. : nombre de consultations). De plus, certains professionnels soulignent le rôle qui leur est imposé dans le processus postmigratoire, ceci pouvant aller à l’encontre d’enjeux éthiques en relation de soins. D’un côté, des professionnels de la santé ont été appelés à évaluer et participer au processus d’octroi de statuts migratoires permanents. De l’autre, des professionnels de la santé se sentaient manipulés par certains patients qui amplifiaient les symptômes rapportés (p. ex. : état de santé général, traumatisme psychique) afin de faire avancer leur demande d’asile.
4. Discussion et recommandations
Cette revue systématique met en lumière des prestations de service dont la qualité est entravée par divers défis rencontrés par les professionnels de la santé. Comparativement au reste de la population du pays hôte, une forme d’inégalité s’inscrit non plus uniquement dans l’accès, mais ici aussi dans la qualité des soins adressés aux personnes réfugiées et en demande d’asile. Pour Robershaw et al. (2017), il apparait fondamental d’établir des recommandations éclairées par l’expérience des professionnels de la santé, afin de tendre vers des conditions favorisant l’exercice professionnel et réduisant ces inégalités de soins. Parmi ces recommandations, les auteurs soulignent l’importance de développer les ressources disponibles à disposition des professionnels de la santé (p. ex. : support de services externes, lignes directrices réactualisées en fonction des flux migratoires) ainsi que d’établir un cadre de pratique professionnel adapté (p. ex. : temps supplémentaire alloué, interprètes formés à la terminologie médicale). Au niveau politique, il semble primordial d’adopter des directives prônant des structures de santé flexibles, intégratives, stables dans le temps et ajustées aux besoins spécifiques des personnes réfugiées. Pour les perspectives de recherches futures, les auteurs indiquent l’importance de dresser un portrait plus holistique des pratiques de soins notamment en abordant l’expérience d’autres professionnels en soins de première ligne (p. ex. : pharmaciens) ainsi que dans d’autres services (p. ex. : santé mentale).