Cohen-Émérique, M. (1993). « L’approche interculturelle dans le processus d’aide », Santé mentale au Québec, vol.18, n.1, pp.71-91.
En bref – Dans un contexte français de relation d’aide au début des années 1990, les chercheures Margalit Cohen-Émérique et Hanna Malewska-Peyre ont entamé une réflexion sur l’interaction entre les populations migrantes et les agents de diverses disciplines chargés de leur intégration. Cette réflexion a mené au développement de l’approche interculturelle comme modèle d’intervention. Cette fiche synthèse en présente les grandes lignes.
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1. Contexte
La menace identitaire
La relation d’aide en contexte interculturel peut poser des défis d’ordre identitaire tant aux professionnels qu’aux immigrants qu’ils sont chargés d’accompagner, et l’intervention peut être mise en péril. L’interculturel est défini « comme une interaction entre deux identités qui se donnent mutuellement un sens, dans un contexte à définir à chaque fois » (1993 :72). Ainsi, la rencontre interculturelle implique au moins deux individus dont les appartenances et les expériences divergent, et s’inscrit inévitablement dans des rapports de pouvoir qu’ils soient sociaux (professionnel / patient ; majorité / minorité ; homme / femme ; etc.) ou historiques (dominant / dominé ; blanc / noir ; etc.). De cette rencontre peuvent émerger des conflits « entre les codes culturels de la société d’accueil et des familles migrantes » (1993 :81).
[Par exemple], des adolescentes que la famille n’envoie pas en classes vertes à cause de la mixité, alors que pour nous la mixité est considérée actuellement comme assurant un bon développement des identités sexuelles.
D’un côté, l’immigrant véhicule les normes et valeurs de ses multiples appartenances, qui lui permettent de donner un sens à ses expériences. Son processus d’adaptation à la société d’accueil est teinté de ruptures et de restructurations identitaires qui ont besoin de temps.
De l’autre côté, le professionnel s’inscrit comme un représentant de la société d’accueil. Il incarne également une culture professionnelle basée sur le respect de la personne qu’il accompagne, de sa vision du monde, de son système de valeurs et de ses besoins.
Comme par exemple un enfant violemment battu par son père pour lui avoir manqué de respect, transgression grave dans la société d’origine des parents mais punition qui, pour nous, met en danger l’enfant.
Dans cette dynamique de différences culturelles, l’intervenant est confronté à des comportements qui peuvent lui rappeler des archaïsmes de sa propre société qui viennent heurter son système de valeurs, faisant ressurgir des préjugés, stéréotypes et présupposés. Le professionnel, menacé dans son identité, « nie à l’aidé culturellement différent le sens de ce qui fonde son appartenance » (1993 :75), menaçant à son tour l’identité de l’immigrant. La reconnaissance de l’autre manque à la rencontre et l’intervention est alors dans une impasse.
Un placement [de l’enfant] serait ressenti comme une violence, susceptible elle-même de déclencher des réactions négatives […] à l’origine de dysfonctionnements familiaux graves.
2. Modèle d'intervention
L’approche interculturelle
Cette reconnaissance se place d’ailleurs au cœur de l’approche interculturelle et se décline en trois axes : la reconnaissance de soi, de l’autre et de la nécessité de travailler ensemble pour trouver un terrain d’entente. Car si l’un des deux interlocuteurs (le professionnel autant que l’immigrant) « n’est pas pris en compte, [il] réagira par des résistances ou une soumission passive qui ne peuvent assurer un terrain propice à la résolution des problèmes, ou au processus d’aide » (1993 :82). L’approche interculturelle offre des outils pour arriver à cette reconnaissance.
a) La décentration
La décentration consiste à reconnaitre son propre système de références afin d’avoir une meilleure connaissance de soi. Le migrant, par les malaises que cause sa différence, offre à l’intervenant un miroir de sa propre identité, lui permettant de prendre de la distance par rapport à ses propres préjugés, stéréotypes, présupposés, valeurs, normes et idéologies, et par extension de les relativiser. Une meilleure connaissance de soi est essentielle à une ouverture à l’autre.
b) La pénétration du cadre de référence de l’autre
Cette étape implique de la curiosité vis-à-vis du différent qui permet de comprendre ses cadres de références. Ainsi l’intervenant recouvre sa tolérance, en opérant des observations selon le point de vue de son interlocuteur, en écoutant son discours sans chercher à l’interpréter et en interrogeant le sens des mots et les valeurs qu’ils véhiculent. Pénétrer le cadre de références de l’autre permet ainsi de reconnaitre la rationalité des comportements de l’autre, et ainsi poser les bases pour une recherche de solution.
c) La négociation ou la médiation
En posant sur la table les cadres de référence des uns et des autres permet non seulement de reconnaitre le conflit de valeur à travailler, mais également de reconnaitre la nécessité de collaborer afin d’y remédier. La négociation et la médiation permettent de trouver un espace commun dans les limites au-delà desquelles chacun des interlocuteurs ne peut aller sans se mettre en danger. Le compromis se trouve d’ailleurs souvent dans les marges culturelles de chacun, où la coexistence peut se faire dans la tolérance, ou dans la création de nouveaux modèles.
Ainsi par exemple, un travailleur social cherchant la valeur implicite concernant une aide financière accordée à une famille africaine mais utilisée pour partir du pays en vacances et non pour acheter des choses nécessaires aux enfants – constatait que l’organisme pourvoyeur et la famille cherchaient tous les deux, en dernier ressort, le bien-être de l’enfant.
3. Discussion et recommandations
Les limites culturelles et institutionnelles
Les codes culturels en présence sont parfois si éloignés les uns des autres qu’il est presque impossible de les décoder. De plus, il arrive que l’intervention se fasse en situation de crise, ou encore qu’elle soit ponctuelle, ce qui ne laisse pas toujours le temps au professionnel de comprendre ces codes.
Finalement, le cadre professionnel peut être handicapant, car les systèmes institutionnels sont souvent très ethnocentristes et rigides. Un effort de prise en compte des différences culturelles est nécessaire au fonctionnement de l’approche interculturelle.